L'hiver arrivant je vais poursuivre mon chemin en Russie.
Aujourd’hui le plus francophile des écrivains russes, l'ami de Daudet, de Zola et de Flaubert, l'amant de Pauline Viardot musicienne et soeur de la célèbre Malibran, grand voyageur, vivant en France mais n’écrivant que sur la Russie son unique et inépuisable sujet.
Après Premier amour où se mêlaient le tragique et la volupté dont j'ai parlé ici en version audio, voici un roman plus ambitieux.
Tourguéniev a suivi sa maîtresse à Baden-Baden et c’est là qu’il situe son roman. C’est une ville où se retrouvent français, russes, anglais, une ville cosmopolite et gaie, légère comme une bulle de Champagne où parois certains perdent tout comme Dostoïevski.
Le héros est un jeune homme : Litvinov, sa fiancée Tatiana et la tante de celle-ci vont le rejoindre à Baden Baden, il est heureux « Sa vie lui apparaissait désormais sans obstacle, sa destinée était tracée »
Il y a une ombre dans le passé de Litvinov, jeune étudiant il est tombé amoureux fou d'une beauté au caractère « inconstant, autoritaire et fantasque »
Elle lui a préféré un riche parti, il a tenté de l’oublier mais aujourd’hui elle est à Baden-Baden avec son mari « Elle est toujours aussi ravissante malgré ses trente ans » et Litvinov va retomber sous son charme et tenter d’enfouir l’image de la douce Tatiana sous les ors et le clinquant. Mais peut-on aimer follement deux fois ?
Baden Baden au temps de Tourguéniev
En parallèle de cette intrigue romanesque, Tourgueniev nous invite dans la société du temps, il s’en donne à coeur joie dans la satire.
La société où évolue Irène, celle là même où évolue Ivan Tourguéniev, est l’objet d’une critique acerbe.
Il moque les bavardages autour d’une Russie magnifiée et idéalisée.
A travers une galerie de portraits très sévères il dépeint l’écart entre une Russie attardée et l’Europe civilisée.
Il affirme « j’ai foi en l’Europe ou pour parler plus exactement, j’ai foi en la civilisation »
La misère des paysans, le système politique tyrannique sont l’objet de ses critiques et de ses craintes « Il viendra un temps où tous auront à rendre compte » Tourguéniev fait preuve de lucidité et les lecteurs russes recevront très mal ce roman.
La Russie de Tourguéniev Isaac Levitan- village en hiver
J’ai beaucoup aimé ce roman, son pessimisme, son romanesque un peu désespéré et l’amour inconditionnel de Tourgueniev pour sa patrie malgré ses critiques « Moi, pour travailler, il me faut l’hiver, une gelée comme nous en avons en Russie, un froid astringent, avec des arbres chargés de cristaux..» .
Le livre : Fumée - Ivan Tourgueniev - Traduit par Edith Scheerer - Editions Gallimard Pléiade T2