Certaines parutions déclenchent aussitôt une alarme dans ma tête. Le nom de David Malouf a suffi.
Le roman est ancien en fait (1982) mais traduit pour la première fois.
Une rançon est pour moi un texte magnifique et c'est avec quelque appréhension que j'ai plongé dans cette Infinie patience des oiseaux.
Un court roman qui se déroule en Australie dans le Queensland à la veille de la Première Guerre.
Deux personnages vont occuper l'espace, Jim Saddler un garçon de vingt ans à l'avenir incertain, un peu marginal, un peu paumé, son plaisir il le prend dans les marais à observer les oiseaux.
« Là-bas, derrière lui, à l'endroit où tous ces marécages se déversaient dans le Pacifique, il y avait le sable des dunes, maintenu par du pourpier violet et des buissons bleus, puis l'océan : sur des milles et des milles. L'on pouvait marcher pendant des heures le long de la blancheur sifflante des vagues sans jamais rencontrer âme qui vive. Rien que des bandes de mouettes et des huîtriers à long bec s'affairant au-dessu de la lumière humide »
Il n'en croit pas ses oreilles quand Ashley Crowther riche héritier revenu s'installer sur les terres auxquelles les marais appartiennent, lui propose de créer un sanctuaire pour les oiseaux, dont lui, Jim, serait le responsable.
Et le miracle s'accomplit, le diplômé de Cambridge et le paumé s'entendent, Jim fait faire la découverte des marais aux amis d'Ashley.
Deux jeunes hommes amoureux de la nature, de la beauté des oiseaux, émerveillés et fascinés par ce monde étrange des migrateurs.
« Cela l'émerveillait. Une chose pareille. De pouvoir par une chaude journée de novembre avec le soleil lui brûlant le dos, la terre fourmillant sous lui et le paysage tout entier étincelant et stridulant, observer une créature qui, à peine quelques semaines plus tôt, se trouvait de l'autre côté de la Terre et avait trouvé sa route jusqu'ici en traversant toutes les cités d'Asie, franchissant des lacs, des déserts, des vallées encaissées entre de hautes chaînes de montagnes, survolant des océans sans le moindre point de repère, pour se poser précisément sur cette berge »
Bientôt Imogen Harcourt vient se joindre à eux, c'est la photographe qui fait de beaux clichés des oiseaux, qui permet de découvrir « de l'intérieur la vie unique de l'animal. Ça aussi ce pouvait être un don »
C'est Août l'époque des grandes migrations celle où arrivent « les premiers réfugiés, comme les appelait Miss Harcourt »
Ce ne sont pas les migrateurs qui arrivent mais la guerre, Jim et Ashley s'engagent. Le bateau, l'Angleterre puis les Flandres et les tranchées. Jim va faire partie de la piétaille, Ashley lui intégré le corps des officiers, ils étaient ensemble dans leur Eden peuplé d'oiseaux, l'absurdité de la guerre les lie à tout jamais.
« L’Australie a promis à la Grande-Bretagne de lui fournir 50 000 hommes de plus.
Allez-vous nous aider à tenir cette promesse »
La seconde partie du livre est terrible, David Malouf a les mots justes pour décrire l'horreur qui s'est brutalement matérialisée « Vous êtes entré dans la guerre par un trou ordinaire dans une haie » et de l'autre côté c'était l'indicible.
Horreur et absurdité de toutes les guerres, comme dans Une rançon, on retrouve ici la prose magnifique de David Malouf, toute de sobriété.
La force du livre c'est ce décalage entre un avenir tout juste entrevu au Queensland et la réalité des tranchées.
David Malouf écrit le récit de cette guerre comme un ralenti de cinéma, les images faites de boue, de froid, de sang répondent comme le négatif d'une photo aux images poétiques, bucoliques des marais.
Vous ouvrez ce livre et ne le quittez plus. Il faut une plume exceptionnelle pour ainsi passer d'un monde à l'autre, pour transformer le lecteur d'ornithologue attentif en soldat dans la boue des Flandres.
Quel magnifique livre, quel grand auteur !
Le livre : L'infinie patience des oiseaux - David Malouf - Traduit par Nadine Gassic - Editions Albin Michel