« C’est curieux que dans tous les genres les plus différents, de George Eliot à Hardy, de Stevenson à Emerson, il n’y a pas de littérature qui ait sur moi un pouvoir comparable à la littérature anglaise et américaine.(…) deux pages du « Moulin sur la Floss » me font pleurer. »
Lettre de M Proust à R Billy
Il y a dans les écrivains d’aujourd’hui, des auteurs pour qui j’ai une réelle admiration, Mona Ozouf en fait partie. J’ai lu ses articles littéraires et surtout son essai sur Henry James. Quand j’ai vu qu’elle proposait une promenade dans la forêt des romans de George Eliot je n’ai pas pu résister.
Mona Ozouf lit Le Moulin sur la Floss vers 15 ans sur les conseils de son professeur de français, elle n’a jamais cessé depuis.
Elle s’étonne qu’en France, George Eliot ne soit que très peu lue, est-ce la taille de ses romans souvent touffus, est-ce l’étude psychologique des personnages toujours détaillée, toujours riche ou tout simplement est-ce par méconnaissance de l’oeuvre ?
Son livre qui se compose de deux grandes parties, tout d’abord l’analyse fine et complète de trois des grands romans de George Eliot, Le Moulin sur la Floss, Middlemarch, Daniel Deronda.
l'adaptation BBC de Daniel Deronda
Puis une série de chapitres pour découvrir l’auteure, ses prises de position, son féminisme avant l’heure, sa vie d’une femme extrêmement intelligente, courageuse et qui fut victime d’un ostracisme social très très victorien.
Mary Ann Evans, qui se souvenait que lorsqu'on avait appris que Jane Eyre était l'oeuvre d'une Charlotte, le ton de la critique avait subitement changé, pris un pseudonyme.
Son premier ouvrage, Les Scènes de la vie cléricale rencontre un certain succès puis Adam Bede parait en 1854 recueille une bonne critique. Le reste suivra jusqu’à Daniel Deronda
Scènes de la vie cléricale
Mona Ozouf nous fait entrer dans les réflexions de cette femme en but au puritanisme de l’époque en raison de sa vie privée, elle vit avec un homme marié et ayant perdu la foi elle ne met plus les pieds à l’église.
Une petite idée du puritanisme ambiant ?
Dans Le Moulin sur la Floss, Maggie l’héroine est couverte de baisers….sur l’avant-bras par son amoureux, la critique y vit une scène révoltante, très choquante of course.
Pourtant cette femme est portée par une morale, Mona Ozouf nous fait entrer dans la confidence de cette morale sans Dieu, d’une morale qui ne nie pas la femme, qui revendique même l’égalité.
Comble de l’horreur George Eliot considère que la maternité ne définit pas les femmes ni ne doit les enfermer. Ici, la modernité d'Eliot est éclatante et c’est elle sur laquelle insiste Mona Ozouf.
Mona Ozouf manie l’oxymore à son propos : « Sédentaire voyageuse, athée religieuse, conservatrice de progrès, rationaliste éprise de mystère… »
George Eliot est dotée d'une formation religieuse très imprégnée d'évangélisme, sensée convertir des impies elle se retrouve à leurs côtés.
C’est une darwiniste convaincue qui croit au développement et au progrès, et met son espoir dans la science, voir le beau personnage du médecin dans Middlemarch.
Elle se révèle aussi visionnaire lorsqu'elle évoque dans Daniel Deronda l'idée d'un Etat juif en Palestine... en 1876, vingt ans avant Theodor Herzl.
Pour les amateurs de George Sand, tout un chapitre est consacré à la comparaison entre la vie et l’oeuvre des deux George les plus célèbres du monde de la littérature.
Etant déjà lectrice de George Eliot, ce livre m’a conforté dans mon admiration pour la femme qu’elle fut.
J’ai commencé mon parcours avec les plus grands romans Middlemarch et Daniel Deronda et je suis en bonne compagnie, Léon Tolstoï, Henry James, Marcel Proust, Virginia Woolf, D. H. Lawrence connaissaient bien son œuvre… Certains, comme James et Woolf, lui ont même consacré d’importants articles.
Pour Virginia Woolf lire Eliot constituait une expérience « frappante » et « magnifique »
Mona Ozouf et George Eliot : deux féministes
Mona Ozouf dit dans une interview :
« Oui, il y a des choses que je relis constamment. Probablement parce que, même tragiques, elles me consolent. »
Dans ce livre elle rend un hommage appuyé à la littérature dans un style simple mais avec une telle conviction que je vous défie de ne pas faire de l’oeuvre d’Eliot votre prochaine lecture.
Pour les anglophones vous pouvez lire : My Life in Middlemarch paru en 2014 de Rebecca Mead,
Le Livre : L’autre George : à la rencontre de George Eliot - Mona Ozouf - Editions Gallimard
Commentaires
Je le lirai après avoir lu les romans de George Eliot (oui, je vise sur le long terme). C'est vrai qu'il est dommage qu'elle ne soit pas plus connue en France. Quand j'étais au lycée, je faisais un magma complet de "romancières anglaises" sans les distinguer, ça s'améliore aujourd'hui mais ça demande du temps de tout lire.
je l'ai lu tardivement car elle est peu mise en avant comme romancière anglaise on se précipite sur les Brontë et Austen puis Woolf et George Eliot est un peu la sacrifiée
J’ai entendu Mona Ozouf parler de son livre et elle m’a donné envie de relire Georges Elliot que je n’ai pas lu depuis mon adolescence.
ma lecture d'Eliot date de quelques mois et j'ai avancé depuis du coup le livre de Mona Ozouf arrivait à point nommé
Mon premier réflexe après avoir lu ton article a été de commander "Middlemarch". Je préfère lire les oeuvres avant cette biographie qui semble vraiment passionnante. Bonne journée Dominique.
Middlemarch est le plus connu mais j'ai vraiment beaucoup aimé aussi Daniel Deronda que j'ai trouvé très culotté comme roman pour l'époque
je viens de terminer ma lecture d'Eliot et je reste totalement impressionné par son talent
Mon carnet de lectures est terminé, j'en ai commencé un autre et je me dis qu'il y a bien peu de titres lus par rapport à toutes les propositions alléchantes des blogs... Bon, il y a eu aussi des surprises, des cadeaux, des découvertes au hasard des étagères de bibliothèques ou de librairies, mais la vie ne va pas suffire pour tout lire... Quelle chance tout de même d'avoir tous ces choix ! Merci Dominique une fois encore, à bientôt. brigitte
nous avons beaucoup de chance de pouvoir choisir, j'ai un carnet de lecture bien rempli tous les 2 ans environ et je m'y reporte souvent pour préparer le club lecture de ma médiathèque
Excellent choix pour cette semaine des femmes!
Je dois t'avouer que je n'ai jamais rien lu de ni sur George Eliot,
Comme Annie, je lirai d'abord un ou deux de ses romans.
Merci pour ce magnifique billet-lecture. J'adore l'illustration "scène de la vie cléricale"!!
je n'ai pas fait exprès pour la date de parution du billet mais ça tombe très bien en effet
Elle a la dent dure George Eliot par rapport à nos travers mais il n'y a jamais de cruauté dans ses propos ni de méchanceté et c'est ce que j'aime chez elle,
J'ai beaucoup lu George Eliot en son temps. La relire, pourquoi pas, surtout que vous n'êtes pas la première à me tenter en me parlant de cet essai de Mona Ozouf. Je vais aller regarder si j'ai les romans de George Eliot sur mes étagères - je crois qu'à cette époque de vaches maigres (plus maigres que maintenant) j'avais tout emprunté à la bibliothèque.
Bonne journée.
on trouve presque tout en folio aujourd'hui sauf les scènes de la vie cléricale
L'essai de Mona Ozouf est un bel hymne d'admiration
A part Adam Bede, j'ai lu ses romans que tu cites; exact, il faut la lire, et sa vie est bien intéressante
une vie hors du commun, dans cet essai la biographie occupe une certaine place mais surtout l'analyse des romans majeurs
J'avoue ne l'avoir jamais lue ; une personnalité fort intéressante et courageuse pour son époque. Me conseillerais-tu un roman d'abord, ou la biographie de Mona Ozouf ?
au moins un roman avant la bio je te propose parce que c'est le plus tendre : le moulin sur la Floss,
C'est un régal de lire Mona Ozouf et je la choisirais volontiers comme "passeuse" vers l'oeuvre de George Eliot. "Middlemarch" est dans ma bibliothèque, il me semble que je n'ai pas réussi à le lire jusqu'au bout, mais je ne sais plus pourquoi. A reprendre.
Je ne sais pas si j'aurais adhéré à Eliot très jeune ? pas certaine, je trouve que c'est une romancière de la maturité, pour elle qui n'a écrit que tardivement et pour ses lecteurs qui ont besoin d'expérience pour apprécier pleinement ses romans
cet essai est effectivement un régal
Un étude – de Mona Ozouf qui plus est – est une belle manière d'aborder un(e) auteur(e). De fait, G Eliot est méconnue, de moi tout à fait.
J'attendrai d'avoir un peu plus de temps disponible pour me tourner vers ce genre de romans.
Mona Ozouf est vraiment excellente comme essayiste littéraire et donne une forte envie de se plonger dans l'oeuvre de l'écrivain
Le portrait de cette femme me plaît; C'est un esprit éclairée et non conformiste. J'ai lu aussi middlemarch mais je l'ai racheté pour le relire car mes souvenirs s'estompent ! Il est maintenant dans ma PAL en espérant qu'il n'y demeurera pas trop longtemps !
Merci pour tes gentils messages dans mon blog. La santé de ma fille s'améliore, je suis moins inquiète et du coup me revoici dans Ma Librairie et chez les amies blogueuses !
Heureuse d'avoir de bonnes nouvelles
l'oeuvre de George Eliot est parfaite à lire doucement en prenant son temps
J'aime beaucoup Mona Ozouf et en grande admiratrice des auteurs victoriens, George Eliot est dans ma ligne de mire depuis longtemps. J'ai vu une adaptation de "Daniel Deronda", mais c'est tout. Toi, ce livre et ma lecture actuelle de Beauvoir (qui en parle dans ses "Mémoires d'une jeune fille rangée") vont peut-être enfin me mettre le pied à l'étrier.
lance toi ça vaut vraiment la peine et garde Deronda et Middlemarch pour la fin commence par le moulin sur la Floss pour te mettre dans l'ambiance
le livre de Mona Ozouf est vraiment excellent, il m'a conforté de terminer avec les deux derniers romans qui me restaient à lire