Une enfance en Prusse orientale - Marion Dönhoff - Traduit de l’Allemand par Colette Kowalski- Editions Albin Michel - 1990
Il y a quelques mois le roman de Béatrice Wilmos « L’Album de Menzel » m’a donné envie de relire ce récit datant déjà de 1990 et écrit par une grande dame du journalisme européen, la Comtesse Marion Dönhoff.
Vous ne trouverez plus hélas ce livre, épuisé et jamais réédité, mais fouillez bien dans la bibliothèque de votre ville, les trésors sont toujours enfouis.
Marion Dönhoff a près de 80 ans quand elle écrit ses souvenirs, en 1945 elle a fui devant l’Armée rouge, elle a vu Königsberg bombardée, elle a abandonné le château de son enfance, elle entame un long périple qui la conduira un jour à la tête de « Die Zeit » le grand journal allemand.
Son livre est composé d’une multitude de scènes, de tableaux, décrivant la vie dans cette Prusse aujourd’hui disparue, racontant l’histoire de ces domaines, de ces hommes et femmes qui vont disparaitre dans la guerre.
Marion Hedda Ilse Dönhoff est née au château Friedrichstein, en Prusse orientale, quand elle naît son père le Comte Dönhoff est député au Reichstag à la « Chambre des Seigneurs de Prusse » il a 64 ans. C’est un homme passionné d’art et de voyages parfois aventureux.
Sa mère elle a aussi « le goût des arts, beaucoup d’imagination et un penchant pour le romantisme » et un sens très sûr des convenances de ce qui « se fait » et de ce qui ne se fait pas « verdict sans appel qui mettait fin à toute discussion ». Ce rigorisme et cette vie aisée ne l’empêchait pas d’assurer soins et médicaments aux villageois proches du domaine.
C’est une vie heureuse que mène Marion Dönhoff, la nombreuse fratrie permet des jeux et activités qui inculquent l’amour de l’aventure et le sens des responsabilités. La discipline est rigoureuse, on n’est pas en Prusse pour rien, mais trouver une façon de tourner les interdits occupe la joyeuse bande.
Les parents sont peu présents mais la fréquentation des serviteurs du château va dégourdir la jeune fille « j’ai appris à démonter un carburateur avec le chauffeur ».
Sa description de la vie du château et du village est empreinte de tendresse, le lavoir, le repassage qui lui apprennent les servantes, les premières lampes électriques, le valet Fritz « qui savait tout et s’intéressait à tout » , Krebs le jardiner au rôle essentiel pour ce domaine qui vit en autarcie totale.
Les enfants participent aux travaux des champs, à la cueillette des champignons et framboises. L’hiver la glace est découpée dans les étangs gelés, la transporter en traineaux pour la stocker « Cela demandait une journée entière et s’achevait généralement par une sorte de fête, car on buvait quantité de grog pour se réchauffer et se donner du coeur à l’ouvrage. » fait partie de ses souvenirs.
C’est une enfance au rythme des saisons « Il ne faut que quelques jours en Prusse Orientale pour que l’interminable engourdissement hivernal cède la place à la rayonnante splendeur du printemps »
Ce sont les passages les plus beaux du livre, on y sent tout l’amour de Marion Dönhoff pour sa patrie; elle qui ressent « une profonde gratitude que ce soit là mon pays »
Elle sait aussi nous raconter l’histoire de la région à travers les familles ou les domaines qui ont marqué son enfance.
Mais c’est bientôt « la fin de l’insouciance » et le départ pour Potsdam pour poursuivre des études.
La guerre va la rattraper, plusieurs de ses amis proches ont été les protagonistes du complot contre Hitler et tous seront exécutés. Elle a puisé là un courage et une rectitude qui l’accompagneront toute sa vie.
La fin du livre est digne d’un livre d’aventures, fuyant à cheval devant l’Armée Rouge, obligée d’abandonner tous ses souvenirs, elle réussira à rejoindre l’Ouest après une chevauchée de 2000 km.
Les réfugiés sont sur les routes, le froid intense. Elle partage son sort avec la population allemande de la région. Elle retrouve sa famille après bien des détours « C’est au milieu de l’hiver que j’étais partie à cheval de chez moi et quand finalement j’arrivai en Westphalie, c’était le printemps. Les oiseaux chantaient. »
Marion Dönhoff en 1988 est retourné à Königsberg et je lui laisse la parole
« Je ne peux pas non plus m’imaginer que le grand amour de la patrie s’illustre par la haine de ceux qui en ont pris possession (...) Quand je pense aux forêts et aux lacs de Prusse Orientale, aux vastes prairies et aux vieilles routes bordées d’arbres, je suis sûre qu’ils ont gardé l’incomparable beauté qui était la leur autrefois, à l’époque où tout cela était mon pays.
Peut-être le plus grand amour réside-t-il en cela : pouvoir aimer sans posséder. »
Commentaires
Oh la la, encore une fois tu arrives à me tenter un maximum... Je vais écumer les boutiques de livres d'occasion, avec un peu de chance... Ou fouiller à la bibliothèque... Tout me plait dans ton billet et encore plus cette conclusion grandiose d'une vieille dame très digne : "Peut-être le plus grand amour réside-t-il en cela : pouvoir aimer sans posséder. "
@ L'or des chambres : une grand dame qui issue de l'aristocratie a pris très tôt fait et cause pour la démocratie, une femme de courage et son livre de souvenirs est très beau
C'est le genre de livres que j'aime bien! Dommage qu'on ne puisse pas le trouver facilement mas j'irai voir dans les fichiers de la bibliothèque.
@ Mango : je pense qu'on peut aussi le trouver sur les sites de livres d'occasion car il n'est pas si ancien que ça
Je vais commencer à éviter ton blog, beaucoup trop dommageable à ma PAL. Encore un billet très tentateur et j'espère pouvoir mettre la main dessus en bibliothèque. Alala, les décisions des maisons d'édition sont parfois obscures.
@ Zarline; Vrai que les politiques de réédition sont parfois obscures
A lire certains de tes billets c'est un livre qui devrait te plaire
Tu as raison, il faut fouiner dans les biblis, ou de façon plus moderne, dans leurs catalogues en ligne... Je le fais régulièrement, et fais sortir certains livres des réserves (je suis repérée, je m'en doute!)
@ Keisha : Dans notre grande bibliothèque municipale il y a des trésors extraordinaires, et il m'arrive de faire sortir des livres qui n'ont plus vu la lumière du jour depuis ....des années j'adore ça
Aucune bibliothèque dans les réseau des bibliothèques de Montréal qui n'ait ce livre... Bonne occasion de visiter les librairies de livres d'occasion...
@ Lali : cela ne m'étonne pas mais avec de la persévérance sur les sites comme Rare book: abebook on finit par trouver
j'ai patienté plusieurs années pour mettre la mains sur "les raisins de la colère ou A l'est d'eden en version broché mais maintenant ils tronent fièrement dans ma bibliothèque
Vous m'avez donné envie de lire ce livre et sur amazon il y a un livre Marion Dönhoff qui me semble bien être, sous un titre différent, une réédition du votre.
Ce titre est "Ces noms que plus personne ne prononce".
J'ai fait votre connaissance sur Babelio mais suis novice sur internet alors je ne sais pas encore trop bien me débrouiller
@ Nadeja : Ravie de vous retrouver ici et j'espère vous revoir régulièrement
Pour répondre à votre question le livre dont vous parlez qui est aujourd'hui le seul disponible est différent, il est intéressant aussi c'est les souvenirs de Marion D sur ses amis qui pour la plupart sont disparus dans la tourmente nazi car la plupart d'entre eux ont pris part au complot contre Hitler, on y voit aussi ses amis de combat pour la démocratie et ceux autour de son métier de journaliste
Je n'ai pas encore reçu ce livre mais j'ai bien entamé la lecture de "Ces noms que personne ne prononce" qui m'intéresse beaucoup et me touche. J'avais lu "Courlande" de Jean-Paul Kauffmann qui peut-être pourrait vous plaire.
En tout cas merci pour la richesse et la beauté de votre blog.
@ Nadejda : Courlande je ne connais pas mais si vous faites une critique sur babelio j'irai volontier la lire pour me faire une idée
Heureuse que Marion Donhoff vous plaise
Ce billet est magnifique, Dominique, et donne qu'une seule et unique envie : retrouver ce livre épuisé pour plonger dans un monde aujourd'hui révolu, oublié ou anéanti ! J'avais entendu parlé de ce livre, sans jamais avoir pu mettre la main dessus ... Maintenant, je sais pourquoi !
@ Nanne : connaissant les lectures que tu apprécies sur ton blog je sais que ce livre te plairait, on le trouve peut être en bibliothèque et surtout sur les sites de livres d'occasion
dommage qu'il soit épuisé, cela aurait bien accompagné notre voyage sur les bords de la Baltique!
@ miriam : tu peux peut être le trouver sur Rare book ou Galaxidion