Une inquiétante étrangeté - Edouard Dor - Editions Sens & Tonka
Le plaisir du diable - Jacques Gelat - Editions José Corti
Au mois de février je vous avais proposé un billet sur un livre d’Edouard Dor, aujourd’hui je récidive car sur un thème différent il nous livre encore une fois sa réflexion d’observateur attentif.
À quoi tient qu'un tableau nous trouble plus qu'un autre ?
Pour nous parler de « cette inquiétante étrangeté » Edouard Dor nous installe devant trois oeuvres de Véronèse traitant d’un même sujet, les amours de Mars et Vénus. Dans un des trois tableaux la présence d’un escalier qui va on ne sait où et surtout et ajouté à ce « décor ambigu » au beau milieu d’une scène voluptueuse, une tête de cheval en haut de l’escalier.
« Véronèse cherche à nous surprendre, à nous déstabiliser »
Je vous laisse juger par vous-même.
Le deuxième exemple pris par Edouard Dor est le portrait fameux « Olympia » par E Manet . il se livre à une étude passionnante dudit portrait, en particulier de son éclairage frontal, sur la présence d’un chat aux yeux jaunes, sur la fascination et le malaise que nous pouvons éprouvé devant la toile.
Son dernier exemple est une étude d’une oeuvre peu connue de Matisse : « Porte fenêtre à Collioure ».
J’ai aimé à l’égal du premier ce petit livre, simple et fouillé il invite à lire autrement une toile, à observer en nous laissant pénétrer par cette « inquiétante étrangeté » qui naît de nos fantasmes et qui peut aller jusqu’à l’épouvante absolue nous dit S Freud dans l' essai dont s'est inspiré Edouard Dor.
Il arrive que nos lectures s’ordonnent d’une façon particulière et que sans le vouloir deux ouvrages viennent se rencontrent ou se répondent. Le roman de Jacques Gelat a pris place juste après ma lecture d’Edouard Dor.
J’ai retrouvé le monde de la peinture dans ce roman insolite et précieux. Sonia l’héroïne travaille dans une galerie à Paris, le propriétaire de celle-ci lui confie la mise en vente d’un tableau hollandais d’Emmanuel de Witte représentant deux musiciennes.
Sonia tombe aussitôt sous le charme et son intérêt va jusqu’à la fascination, mais un soupçon l’assaille, elle ressent une « inquiétante étrangeté » à l’observation de la toile, des détails incongrus, des anomalies la font douter de l’authenticité du tableau.
« Alors, bien avant le dessin, les couleurs ou la composition, la toile lui envoya sa lumière.
Sonia la sentit doucement irradier vers elle, un peu comme un soleil du soir après une journée de chaleur. Une lumière tiède, lente. Sans doute était-ce le sentiment des couleurs principales, les robes des femmes, orangé sombre pour la première, rouge bordeaux avec des reflets bruns pour la seconde. Puis le bois des guitares sur les genoux, vieil or avec des reflets ambrés. »
Nous sommes littéralement emportés nous aussi, la description du tableau que vous ne tarderez pas à « voir » , l’obsession amoureuse de Sonia pour celui-ci, sa quête de la vérité, le monde de l’art, du faux et de l’illusion, tout est fascinant dans ce roman. Le style est impeccable et la construction diabolique. Une fin inoubliable.
Il faut préciser que ce roman avait déjà été publié il y a vingt ans par les éditions Denoël sous le titre « le tableau », il est réédité aujourd’hui pour notre plus grand plaisir.
Commentaires
Je note le deuxième livre (décidément tu as trouvé de très bon livre en ce début d'année chez José Corti...). Est-ce que pour le premier il faut être un amateur averti ou quelqu'un qui ne s'y connait pas peut comprendre ? De quelle manière se présente l'ouvrage ? Est-ce qu'il a les tableaux dont l'auteur parle dans le livre ?
@ la série des livres (3) de Dor sont de jolis petits livres avec les reproductions des tableaux mais en format réduit, par contre ce sont des tableaux que l'on trouve sur internet sans problème si on veut une taille plus grande
l'auteur est certainement très compétent mais sait mettre ses connaissances à la portée du lecteur, je ne suis pas du tout une spécialiste et j'ai pris plaisir à découvrir une autre manière de regarder un tableau
@ le roman chez corti est une découverte de hasard et le fait de les avoir lus en même temps m'a fait apprécier plus encore le roman mais le roman se suffit à lui même, simplement cela m'a amusée de les lier le côté étrange étant présent dans les deux livres
Je prends note, Dominique!
Surtout que tout ce qui concerne la peinture m'intéresse!
@ vu la qualité de ton blog et son inventivité tu n'es pas en reste d'originalité, pour moi qui ne sait que très mal parler de peinture, je suis subjuguée par Edouard Dor et son regard " de biais" qui m'enchante et me fascine
Passionné de l'art et de l'influence sur nous de celui-ci , je vais essayer de voir si mon libraire à ces ouvrages . Tu titilles ma curiosité !
Merci pour tes mots
"Le beau est toujours bizarre" (Baudelaire)
Du "Tableau" au "Plaisir du diable", un changement de titre qui nous parle d'un changement d'époque?
@ le titre choisi par Denoël était bateau et banal et ne disait rien du roman, je ne sais pas si c'est l'auteur ou l'éditeur qui a changé le titre mais "le plaisir du diable" colle beaucoup mieux au récit et reflète bien le contenu du roman un changement judicieux et pas seulement commercial