« Tout nom cache une histoire »
C’est le second livre que je lis dans le cadre de la Lecture commune pour l’Holocauste et plus encore que Goetz et Meyer ce livre fut un choc de lecture
La littérature croate ne tient pas beaucoup de place sur les présentoirs des librairies hélas et on a un peu honte qu’un tel livre soit passé un peu inaperçu.
© LUDOVIC MARIN AFP
C’est à la fois un regard et une écriture, brutale, dérangeante. Des mots qui interpellent, mettent en cause, alertent, on ne sait pas comment qualifier ce qui se passe pour le lecteur tout au long de ce roman documentaire comme le nomme l’auteur et l’éditeur.
Gorizia aujourd'hui
Le récit se déroule dans La ville de Gorizia, proche de Trieste, dont le nom se décline selon les langues en Görz, Gorica, Gurize. C’est souvent le cas pour ces villes où le vent de l’histoire à baptisé les lieux chaque fois que la frontière se modifiait.
Ville qui évolue de son attachement à l’Empire austro-hongrois à l’appartenance à l’Italie annexée à l’Axe durant la guerre.
L’héroïne de ce roman Haya Tedeschi est une femme âgée et depuis 1944 elle attend…elle attend ainsi depuis soixante-deux ans. « À ses pieds, une immense corbeille rouge remplie de photos, de coupures de presse, de documents divers. Son attente, au début du roman, est « notre attente ».
Haya est née à Gorizia et a grandit dans une famille juive qui va hésiter et pencher curieusement vers le fascisme à l’arrivée de Mussolini, espérant peut être l’impunité grâce cela.
Haya peut ainsi se croire à l’abri mais l’histoire avance et l’on s’achemine vers le temps des massacres.
La famille Tedeschi semble ignorer ces faits car ils détournent la tête regardent ailleurs, les voisins ne disparaissent pas « ils déménagent » ils ne sont pas expulsés ils « semblent ne plus ouvrir leur magasins »
Le récit s’étend géographiquement et dans le temps, on approche de l’inhumain
Haya est amoureuse d'un allemand qui est venu un jour acheter des pellicules photo dans sa boutique.
Treblinka
C’ est Kurt Franz, celui qui à Treblinka « se promène, monte à cheval, court le matin, chante (…) plante des fleurs » Treblinka est fermé il a été muté !!
Elle se retrouve seule lorsque, fin de la guerre oblige, il quitte Trieste.
C’est le début de l’attente pour Haya.
le bon dieu sans confession
Personnage symbolique, Haya est là pour nous rappeler ce que vécurent ces hommes et ces femmes, certains broyés immédiatement, d’autres se transformant en bourreaux.
Après la guerre les yeux d’Haya s’ouvrent petit à petit, elle lit des témoignages, ses souvenirs prennent une autre teinte, elle suit les procès qui sont faits aux criminels de guerre
Rizerie de San Sabba
En 1976 commence le procès des criminels de guerre de San Sabba. Dans cette rizerie de Trieste, on a assassiné des Juifs, des Tsiganes, des résistants.
Un four crématoire avait été construit par Erwin Lambert, ingénieur qui a fait ses preuves en Allemagne et en Pologne en éliminant des malades mentaux et des handicapés.
Erwin Lambert un bon père de famille
L’auteure ne vous donnera la clé de cette attente qu’en toute fin du livre mais on pressent tout au long que ce qui sortira de la quête ne sera ni joyeux, ni consolant.
C’est un quête pour savoir et comprendre, pour éclairer cet événement violent et inimaginable que fut la déportation et l’extermination des juifs en Europe.
Sélection à Auschwitz-Birkenau en .
Si ce roman m’a tellement marqué c’est par la façon dont Daša Drndić parle de l’histoire, mêle les faits avec ce qui sort de son imagination.
Le récit n’est jamais linéaire ce qui parfois rend la lecture difficile, exigeante, mais c’est un peu comme si l’on inventoriait tout le contenu du panier rouge d’Haya et que l’on sortait tous les papiers, photos, coupures de presse, tout un par un.
Nous ne sommes pas les derniers - Zoran Mušič
Ainsi on croise Boris Pahor, Paul Celan, Zoran Mušič, Umberto Saba, Danilo Kiš, Claudio Magris …et surtout ce qui pour moi fut une rencontre forte le philosophe Carlo Michelstaedter dont la soeur disparue à Ravensbrück, je l’avais lu il y a environ 20 ans et il s’est à nouveau imposé à moi grâce à ce roman.
La littérature, la philosophie, la poésie, la peinture sont-elles plus à même de dire la douleur, l’horreur, la souffrance ?
Carlo Michelstaedter
Le roman est interrompu pendant 80 pages et nous trouvons la liste des 9000 juifs qui ont perdus la vie dans les camps, les transports ou les territoires occupés. C’est comme une reconnaissance, un hommage, une stèle de papier.
Daša Drndić a ainsi redonné un visage à l’histoire refusant que l’individu soit résumé à une « note en bas de page de l’Histoire »
Réquisitoire très puissant contre les nazis bien entendu mais aussi envers tous ceux qui ont fermés les yeux ou tournés la tête : la Croix-Rouge qui aide les nazis à blanchir l’argent des victimes déportées, le Vatican qui aidera à cacher les criminels de guerre, ou plus simplement par exemple ….un chef d’orchestre :
« En 1955 Karajan est nommé chef à vie de l’Orchestre philharmonique de Berlin (…) la terre absorbe le passé comme la pluie disparait dans ses entrailles » En 1935 il avait adhéré au parti Nazi et joué pour Hitler.
Et pourquoi ne pas diriger l'Ode à la Joie ?
Sonnenschein est un roman parfaitement documenté, on a envie d’ajouter hélas ! Car les protagonistes ont réellement vécu et fait ce dont on les accuse. Des photos, des compte-rendus des procès, les retranscriptions d’interrogatoires, tout atteste de la réalité des faits.
La folie meurtrière du nazisme, la circulation des trains, les camps, les exécutions, le Lebensborn
C’est comme un monument pour sauver de l’oubli des hommes et des femmes qui un jour ont vécu, aimé, travaillé, parce que « tout nom cache une histoire »
La construction du livre rend le lecteur témoin, il est interpellé par les faits qui redonnent vie aux victimes anonymes et qui sont un réquisitoire sans appel pour les bourreaux qui voudraient faire croire à leur petite vie de fonctionnaires obéissants.
Daša Drndić multiplie sans arrêt les points de vue, les documents, les cartes, les dates, jusqu’à parfois rendre le lecteur un peu hagard, un peu noyé par ce chaos effrayant.
Pourtant l'auteur parvient à donner une cohérence à tout ça et c’est ce qui fait la force du livre, sans doute un des grands livres sur l’Holocauste.
Le livre : Sonnenschein - Daša Drndić - Traduit par Gojko Lukić - Editions Gallimard