Après bien des hésitations j’ai renoncé à lire La Montagne magique cet été, ben oui j’avoue tout.
Vous me direz alors qu’as-tu lu mon petit loup ? J’ai quand même fait dans le classique en relisant Du côté de chez Swann avec un total bonheur, j’ai ajouté quelques marques au crayon, gommé celles que je ne parvenais plus à lire.
Et le croirez-vous j’apprends que Laure Murat sort un livre sur sa lecture de la Recherche.
Ça n’a pas trainé et je viens de terminer ma lecture.
Alors amie, amis, aficionados je vous dis tout.
Ce livre est un mixte entre un récit très personnel quasi autobiographique et une analyse littéraire d’une œuvre mille fois commentée.
C’est « un hommage au pouvoir d’émancipation de la littérature » et un exercice d’admiration mâtiné d’impressions et souvenirs liés à la vie personnelle de l’autrice.
Laure Murat appartient par naissance au monde de Proust. « Toute mon adolescence, j’ai entendu parler des personnages de la Recherche, persuadée qu’ils étaient des oncles ou des cousines que je n’avais pas encore rencontré »
Le souvenir lui revient de la comédie aristocratique qui rend si drôle certains passages de la Recherche.
« Mon père, qui était un grand lecteur, en parlait à table, citait les plaisanteries stupides du docteur Cottard, évoquait le baron de Charlus comme s’il s’était agi d’un cousin. La Recherche était un monde familier, voire familial, avant même que je la lise »
C’est un charmant méli-mélo qu’elle nous livre, nous faisant passer des salons de sa famille aux salons d’Oriane de Guermantes
Arrive sa première lecture « Ce livre immense m’enchantait comme un kaléidoscope dont chaque mouvement révèle des figures et des combinaisons insoupçonnables, des mondes infinis. »
Cette lecture lui ouvre les yeux car Laure Murat avoue « Le plus sidérant, c’était que toutes les scènes lues où l’aristocratie entrait en jeu étaient infiniment plus vivantes que les scènes vécues dont j’avais été témoin »
Mêlant réflexions sur l’œuvre et souvenirs d’enfance puis d’adolescence jusqu’à la rupture familiale en raison de son orientation sexuelle.
Elle raconte comment sa lecture de la Recherche lui aura permis de s’extraire de cette ambiance délétère.
Elle pose de multiples bombes çà et là et chaque fois rend grâce à Marcel Proust de son aide pour comprendre son milieu et se hisser hors du trou.
Proust qui lui permet de s’évader, de briser les codes, de mettre à distance une famille qui remonte à Guillaume le Conquérant en passant par le roi de Naples.
« Il ne sera pas exagéré de dire que Proust m’a sauvé »
Laure Murat se nourrit de littérature, elle dit son admiration « Le pouvoir de Proust à convoquer l’univers dans une tasse de thé ou à le faire sortir de la gelée d’un bœuf mode est le même est le même que celui de la nature dans sa diversité infinie des espèces et des plantes. »
Ou encore , Marcel Proust a accompli un prodige « faire tourner les mondes, à montrer l’envers de la tapisserie, à nous guider dans sa trame et ses fils multicolores. Marcel Proust l’a accompli depuis sa chambre aux murs recouverts de liège, allongé écrivant dans les positions les plus inconfortables, se nourrissant de croissants et de café au lait » et ce pendant plus de dix ans.
Reconstitution historique savoureuse, Laure Murat décortique le fonctionnement de l'aristocratie, cet échafaudage qui ne s'appuie sur rien, ce monde où l'apparence, les mots, ont remplacé la réalité.
Elle nous livre son point de vue sur le travail de sape de Proust s’acharnant à nous montrer la totale vacuité de ce monde.
J’ai beaucoup aimé le portrait qu’elle fait de son entourage, personne n’y trouve grâce.
On sent encore l’effort douloureux qui fut nécessaire à Laure Murat pour s’affranchir d’un entourage reposant sur des postures et un carcan puissant.
Elle fait une reconstruction de sa généalogie, reconstruction douloureuse s’il en fut.
Elle s’est libérée d’une gangue, la littérature a permis son émancipation, son livre est bouleversant, drôle, pudique, riche d’images inoubliables, de comparaisons vachardes et pourtant bien véridiques.
La Recherche est le roman que Laure Murat a le plus relu, elle y a trouvé un recours inespéré et une formidable consolation.
Ce livre est destiné soit aux fans absolus mais plus sûrement à ceux qui n’ont jamais lu Proust et qui s’interrogent.
Allez-y c’est réjouissant et passionnant.
Le livre : Proust, Roman familial – Laure Murat