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Faire parler les morts : est-ce vraiment un métier ? un but ? L’une est anthropologue judiciaire, elle s’appelle Senem, l’autre est enquêtrice et se nomme Darija. Deux femmes qui travaillent avec et pour les morts, mais aussi pour les familles et les institutions. Ont les appelle des fossoyeuses.
La guerre des Balkans ( 1992/1995 ) vous vous souvenez ? Plus de 100 000 morts, 30 000 disparus, des corps dans des charniers, des crimes de guerres, des frères contre des frères, des orthodoxes contre des musulmans, des Bosniaques contre des Serbes, des Serbes contre des croates et au milieu des casques bleus spectateurs impuissants. En 2013 il y a encore 10 000 hommes, femmes et enfants dont on ne sait rien.
L'auteur
Taina Tervonen, journaliste, va faire connaissance avec ces deux femmes, comprendre leur travail respectif, identifications des victimes dont on a retrouvé les ossements, prélèvement des ADN dans les familles, écoute de la parole des familles décimées.
Ce travail qui peut paraître macabre, il est pourtant indispensable à la fois pour avoir un bilan juste des massacres, mais surtout pour les familles, leur permettre de savoir ce qui s’est réellement passé, où sont les corps de leurs disparus.
Les massacres sont tabous, la guerre a touché toutes les familles, le silence s’est installé.
Srebrenica
Comment survit-on après pareilles atrocités ? Les moyens alloués à ceux qui œuvrent pour mettre des noms sur des os sont ridicules, les politiques voudraient bien réécrire l’histoire. « L’identification, c’est comme un point que les familles arrivent à mettre au bout d’une phrase longue de plus de quinze ans »
Sarajevo
J'ai beaucoup aimé ce livre écrit par une journaliste occidentale et qui dresse deux magnifiques portraits de femmes. Senem et Darija ont sur leurs épaules l’attente de milliers de familles pour qui la quête n’est pas terminée.
Elles se sentent un devoir envers les vivants, elles accomplissent une réparation indispensable et il faut les saluer très bas. « Tant qu’il y a des personnes qui font ce travail, qui réparent ce qui a été détruit et piétiné, quelque chose de notre humanité à nous tous est préservé. »
Ce livre a réactivé mes souvenirs de cette guerre, des heures que j’ai passé devant les reportages de l’époque à tenter de comprendre. Aujourd’hui ces pays sont devenus touristiques, lieux de vacances, il est bon de ne pas oublier à quel prix cela s’est fait.
Taina Tervonen est documentariste, elle travaille pour la presse finlandaise et française.
Elle a reçu le Prix Louise Weiss du journalisme pour son travail.
Le livre : Les fossoyeuses – Taina Tervonen - Éditions Marchialy
C’est le second livre que je lis dans le cadre de la Lecture commune pour l’Holocauste et plus encore que Goetz et Meyer ce livre fut un choc de lecture La littérature croate ne tient pas beaucoup de place sur les présentoirs des librairies hélas et on a un peu honte qu’un tel livre soit passé un peu inaperçu.
C’est à la fois un regard et une écriture, brutale, dérangeante. Des mots qui interpellent, mettent en cause, alertent, on ne sait pas comment qualifier ce qui se passe pour le lecteur tout au long de ce roman documentaire comme le nomme l’auteur et l’éditeur.
Gorizia aujourd'hui
Le récit se déroule dans La ville de Gorizia, proche de Trieste, dont le nom se décline selon les langues en Görz, Gorica, Gurize. C’est souvent le cas pour ces villes où le vent de l’histoire à baptisé les lieux chaque fois que la frontière se modifiait.
Ville qui évolue de son attachement à l’Empire austro-hongrois à l’appartenance à l’Italie annexée à l’Axe durant la guerre.
L’héroïne de ce roman Haya Tedeschi est une femme âgée et depuis 1944 elle attend…elle attend ainsi depuis soixante-deux ans. « À ses pieds, une immense corbeille rouge remplie de photos, de coupures de presse, de documents divers. Son attente, au début du roman, est « notre attente ».
Haya est née à Gorizia et a grandit dans unefamille juive qui va hésiter et pencher curieusement vers le fascisme à l’arrivée de Mussolini, espérant peut être l’impunité grâce cela.
Haya peut ainsi se croire à l’abri mais l’histoire avance et l’on s’achemine vers le temps des massacres. La famille Tedeschi semble ignorer ces faits car ils détournent la tête regardent ailleurs, les voisins ne disparaissent pas « ils déménagent » ils ne sont pas expulsés ils « semblent ne plus ouvrir leur magasins »
Le récit s’étend géographiquement et dans le temps, on approche de l’inhumain Haya est amoureuse d'un allemand qui est venu un jour acheter des pellicules photo dans sa boutique.
Treblinka
C’ est Kurt Franz, celui qui à Treblinka « se promène, monte à cheval, court le matin, chante (…) plante des fleurs » Treblinka est fermé il a été muté !! Elle se retrouve seule lorsque, fin de la guerre oblige, il quitte Trieste. C’est le début de l’attente pour Haya.
le bon dieu sans confession
Personnage symbolique, Haya est là pour nous rappeler ce que vécurent ces hommes et ces femmes, certains broyés immédiatement, d’autres se transformant en bourreaux.
Après la guerre les yeux d’Haya s’ouvrent petit à petit, elle lit des témoignages, ses souvenirs prennent une autre teinte, elle suit les procès qui sont faits aux criminels de guerre
Rizerie de San Sabba
En 1976 commence le procès des criminels de guerre de San Sabba. Dans cette rizerie de Trieste, on a assassiné des Juifs, des Tsiganes, des résistants. Un four crématoire avait été construit par Erwin Lambert, ingénieur qui a fait ses preuves en Allemagne et en Pologne en éliminant des malades mentaux et des handicapés.
Erwin Lambert un bon père de famille
L’auteure ne vous donnera la clé de cette attente qu’en toute fin du livre mais on pressent tout au longque ce qui sortira de la quête ne sera ni joyeux, ni consolant. C’est un quête pour savoir et comprendre, pour éclairer cet événement violent et inimaginable que fut la déportation et l’extermination des juifs en Europe.
Si ce roman m’a tellement marqué c’est par la façon dont Daša Drndić parle de l’histoire, mêle les faits avec ce qui sort de son imagination.
Le récit n’est jamais linéaire ce qui parfois rend la lecture difficile, exigeante, mais c’est un peu comme si l’on inventoriait tout le contenu du panier rouge d’Haya et que l’on sortait tous les papiers, photos, coupures de presse, tout un par un.
Nous ne sommes pas les derniers - Zoran Mušič
Ainsi on croise Boris Pahor, Paul Celan, Zoran Mušič, Umberto Saba, Danilo Kiš, Claudio Magris …et surtout ce qui pour moi fut une rencontre forte le philosophe Carlo Michelstaedter dont la soeur disparue à Ravensbrück, je l’avais lu il y a environ 20 ans et il s’est à nouveau imposé à moi grâce à ce roman.
La littérature, la philosophie, la poésie, la peinture sont-elles plus à même de dire la douleur, l’horreur, la souffrance ?
Carlo Michelstaedter
Le roman est interrompu pendant 80 pages et nous trouvons la liste des 9000 juifs qui ont perdus la vie dans les camps, les transports ou les territoires occupés. C’est comme une reconnaissance, un hommage, une stèle de papier.
Daša Drndića ainsi redonné un visage à l’histoire refusant que l’individu soit résumé à une « note en bas de page de l’Histoire »
Réquisitoire très puissant contre les nazis bien entendu mais aussi envers tous ceux qui ont fermés les yeux ou tournés la tête : la Croix-Rouge qui aide les nazis à blanchir l’argent des victimes déportées, le Vatican qui aidera à cacher les criminels de guerre, ou plus simplement par exemple ….un chef d’orchestre : « En 1955 Karajan est nommé chef à vie de l’Orchestre philharmonique de Berlin (…) la terre absorbe le passé comme la pluie disparait dans ses entrailles » En 1935 il avait adhéré au parti Nazi et joué pour Hitler.
Et pourquoi ne pas diriger l'Ode à la Joie ?
Sonnenschein est un roman parfaitement documenté, on a envie d’ajouter hélas ! Car les protagonistes ont réellement vécu et fait ce dont on les accuse. Des photos, des compte-rendus des procès, les retranscriptions d’interrogatoires, tout atteste de la réalité des faits. La folie meurtrière du nazisme, la circulation des trains, les camps,les exécutions,le Lebensborn
C’est comme un monument pour sauver de l’oubli des hommes et des femmes qui un jour ont vécu, aimé, travaillé, parce que « tout nom cache une histoire »
La construction du livre rend le lecteur témoin, il est interpellé par les faits qui redonnent vie aux victimes anonymes etqui sont un réquisitoire sans appel pour les bourreaux qui voudraient faire croire à leur petite vie de fonctionnaires obéissants.
Daša Drndić multiplie sans arrêt les points de vue, les documents, les cartes, les dates, jusqu’à parfois rendre le lecteur un peu hagard, un peu noyé par ce chaos effrayant.
Pourtant l'auteur parvient à donner une cohérence à tout ça et c’est ce qui fait la force du livre, sans doute un des grands livres sur l’Holocauste.
Le livre : Sonnenschein - Daša Drndić - Traduit par Gojko Lukić - Editions Gallimard
Voilà un roman à la fois passionnant et déroutant lu dans le cadre de la lecture commune proposée par Passage à l'Est et Si on bouquinait.
Un roman passionnant sur le fond, l’Holocauste et le problème de la responsabilité, la question torturante du bien et du mal. Un roman déroutant par sa forme qui flirte avec l’humour noir, une ironie dévastatrice et même le ridicule.
Un texte provocant chez le lecteur une quasi apnée, un quasi étouffement par la particularité de l’écriture et par le choix d’un paragraphe qui court sur plus de 100 pages.
Belgrade après l'invasion allemande
Le roman se situe à Belgrade, dans un passé assez proche mais non daté.
Le narrateur un juif professeur de lettre dont pratiquement toute la famille a disparu dans les camps, est amené à faire des recherches sur son passé et celui de sa famille.
Ses recherches dans les archives sont décevantes mais il a trouvé un petit fil rouge, deux SS envoyés d’Allemagne pour leur compétence particulière, conduire et faire fonctionner un camion transformé en chambre à gaz. Ils sont mutés à Belgrade pour leur « savoir faire »
Un camion à gaz utilisé en Pologne
Goetz et Meyer, deux SS que David Albahari transforme en une seule entité « Goetz et Meyer »
Le narrateur tente de comprendre ce qui s’est passé, de comprendre qui étaient ces deux hommes qui ont participé à l’élimination de sa famille et à celle decinq mille juifs de Serbie.
Cette enquête tourne à l’obsession et le narrateur frôle parfois la folie par la difficulté a retrouver trace de sa famille et au fur et à mesure qu’il découvre les faits, les noms, les chiffres.
Déportations en ex-Yougoslavie
Pourquoi « Goetz et Meyer » ont-ils participé au Génocide ? Comment ont-ils fait pour supporter cela ?Voir des femmes, des enfants, des vieillards, monter dans ce camion, leur sourire, faire « comme si » il s’agissait d’un petit voyage anodin puis débarrasser le camion des corps, nettoyer le tout et … recommencer. Sont ils inconscients ? Sont ils des modèles d’obéissance ? Sont-ils des monstres ?
A la lecture de tous les livres sur l’Holocauste, les questions lancinantes sont toujours les mêmes : pourquoi, quel homme peut faire cela, qu’est-ce qui me différencie de tels hommes, qu’aurais je fais dans les mêmes circonstances …
Que reste-t-il aux survivants ? J’ai pensé à plusieurs reprises au livre de W.G. Sebald Les émigrants, en lisant ce roman.
David Albahari livre ici un roman d’une très grande force qui ouvre la porte aux interrogations, à l’incompréhensible, à l’inhumain.
J’ai été bouleversée par ce roman. Tout d’abord parce qu’il évoque, ce que j’ignorais totalement, l’existence de camps en Serbie, et parce que quand on dit Holocauste on ne pense pas forcément à ce pays.
Staro Sajmiste Camp de concentration Serbe
Un roman sombre bien entendu mais qui palpite pourtant de vie, une vie douloureuse certes mais la vie « malgré tout ». Il plonge le lecteur dans un magma brûlant le contraignant à courir devant les coulées de lave qui déferlent. Sa façon de transformer ces deux hommes en une seule entité « Goetz et Meyer » les liant définitivement car ils sont les « rouages d’un vaste mécanisme »
Les témoins de l’Holocauste sont en train de disparaitre et il est indispensable que des voix reprennent ce récit, empêchent l’oubli.
Un grand et beau roman qui date déjà de 2002, alors un grand merci à Passage à l’Est qui me l’a fait connaitre et qui a initié cette lecture commune avec Patrice.
Le livre : Goetz et Meyer - David Albahari - Traduit par Gabriel Iaculli et Gojko Lukic- Editions Gallimard