« Un matin d’hiver de 1934. Imaginez le givre sur les vitres de cette école de village sur le Rhin, des fleurs laiteuses de givre. Imaginez le froid glacé sur les nuques des garçons dans la salle de classe de Fraülein Jansen. Ressentez leur effroi parce que c’est aujourd’hui le premier anniversaire de l’incendie qui a détruit le siège du parlement de Berlin, un incendie qui a roussi leurs rêves dans un whouch de jaune et de rouge, déchiqueté et rapide, si rapide qu’on dirait un fouet, comme un vent chaud, qui s’agrippe aux poutres jusqu’à ce qu’elles s’affaissent. »
Depuis quelques mois le drapeau à croix gammée flotte sur les bâtiments officiels, le salut nazi est devenu une obligation.
A Burgdorf l’institutrice Fraülein Jansen cherche comment permettre à ses élèves de s’exprimer sur le sujet sans débordement, sans en faire une commémoration car elle ne doute pas vraiment du côté « fabriqué » de l’évènement.
Elle est consciencieuse la petite institutrice,Thekla, elle veut bien faire, elle veut plaire aux parents, elle a mal vécu la mise à l’écart des enfants juifs et aussi de l’institutrice qui l’a précédée Fraülein Siderova. Elle va devoir remplir son ahnenpass puisque c’est obligatoire.
ahnenpass
Cela l’attriste mais pas au point de s’insurger, pas au point de montrer son désarroi. Et puis parmi les familles il y a des nazis convaincus et parmi les enfants de la classe plusieurs sont inscrits aux Jeunesse Hitlériennes et elle est prête à soutenir Bruno Stostick dont les parents s’oppose à son adhésion.
Faire la classe devient un casse-tête : il y a tous les auteurs interdits, utiliser les cartes murales devient un tour de passe passe car l’Allemagne n’y apparait pas à la même échelle que les autres nations !
Autour d’elle la peur s’est installée mais Thekla ne veut rien voir.
Chaque élève apprend par cœur le poème de Hitler à sa mère
« Un mauvais poète, se dit Thekla. Il a échoué en tant que peintre. Il a essayé d’écrire un opéra car il voulait être un autre Wagner. Et maintenant ces rimes bourratives qui n’auraient jamais trouvé place dans l’anthologie d’Echtermeyer. En art, le sentimentalisme n’est pas seulement insincère mais impardonnable. » mais elle obéit.
Les enfants jouent le rôle de sentinelle partout, à l’école, chez eux et n’hésitent pas à dénoncer leurs parents pour prouver leur courage, à mettre à sac la bibliothèque qu’ils aimaient, quoi de plus malléable qu’un enfant ?
Pourtant une petite musique résonne au fond de Thékla par la voix d’Henri Heine « là où l’on brûle des livres on finira par brûler des gens »
Autodafé perpétré par les étudiants de l'Université de Berlin, les 10 et 11 mai 1933
Archives fédérales allemandes
L’écriture est simple comme une rédaction enfantine, le rythme est lent mais s’accélère au fur et à mesure que la peur monte.
Le ton volontairement uniforme de l’auteur est là pour nous rappeler que les discours peuvent apparaitre comme lénifiants, parfois endormir notre vigilance, il est souvent plus facile de jouer les naïfs et de suivre le troupeau, mais aussi qu’à vouloir être trop obéissant il arrive que le destin vous rattrape.
Son ami communiste tente de l’alerter mais c’est son ancienne institutrice, exclue pour cause de judéité, celle dont elle a pris la place, qui va lui ouvrir les yeux.
Je ne vous dis rien volontairement de plusieurs évènements, ressorts même du récit alors chut .....
Vous pouvez retrouver des récits très proches avec le livre d’Erika Mann ou celui d’Erik Larson ou encore le livre si émouvant d'Anna Seghers
Le livre : Brûlures d’enfance - Ursula Hegi - Traduit par Guillaume Villeneuve - Editions Galaade Version numérique 2012
L’auteur : Née en 1946 en République Fédérale d’Allemagne, Ursula Hegi passe sa jeunesse dans une petite ville près de Düsseldorf. Elle a dix-huit ans lorsqu’elle part pour les États-Unis. Elle étudie l’écriture à l’Université du New Hampshire, puis enseigne à la Eastern Washington University pendant quinze ans.
Après avoir d’abord consacré son écriture à des histoires situées aux États-Unis, elle se met à écrire sur l’Allemagne dans une réflexion sur le passé de son pays d’origine pendant la Seconde Guerre mondiale. Critique littéraire pour le New York Times, le Los Angeles Times et le Washington Post, Ursula Hegi a reçu, depuis la parution de son premier roman Intuitions en 1981, de nombreux prix littéraires, notamment le Prix des lecteurs du Livre de Poche en 2010 pour Trudi la naine (Galaade, 2007). Brûlures d’enfance est son deuxième livre traduit en français.
Elle vit actuellement près de New York. (source l’éditeur Galaade)
Commentaires
J'ai toujours beaucoup de mal à plonger dans ce genre de récit me disant "oui on sait "
Nous nous savons mais dans deux générations sauront-ils ?
C'est bien que des personnes comme toi nous fassent une petite piqure de rappel
@ Aloïs : quand il n'y aura plus de témoins comme aujourd'hui il n'y a plus de poilus, il restera des livres comme celui ci pour dire une certaine vérité
De tels souvenirs me sidèrent toujours autant!
@ Mango : il n'est pas difficile de se faire duper je crois
Quels que soient les témoignages de cette période, cela fait froid dans le dos. Malheureusement cela n'a pas servi de leçon...
J'ai regardé sur Arte "24 heures à Jérusalem" et ma foi c'est terrible de voir ce qui s'y passe. En même temps les rencontres sont attachantes quel que soit le point de vue des uns et des autres et permettent de saisir la complexité de la situation. Des liens se créent entre les différentes communautés et l'on se dit que sans les discours politiques les hommes pourraient peut-être finir par s'entendre
@ nadejda : j'ai regardé les mêmes émissions que toi et c'est tout à fait ça, quand on pense qu'après avoir subi Staline les russes aujourd'hui disent avoir besoin d'un chef fort !!! il y a de quoi s'interroger
Froid dans le dos, mais nécessaire;.. Merci de nous trouver des pépites!
@ Keisha : un livre qui se lit très facilement mais qui remplit bien son rôle
Je note, on n'écrira jamais assez sur le sujet, il suffit de voir en ce moment avec quel facilité les peuples réclament un "chef" peu importe les dégâts annexes et le prix payé.
@ Aifelle : c'est tout à fait ça, voir ce qui se passe en Russie ou aujourd'hui la manipulation en Ukraine
Ce récit me rappelle immédiatement le beau film "La voleuse de livres" vu il y a deux semaines. L'avez-vous vu ?
@ Christw : je n'ai ni lu le livre ni vu le film, un oubli à rattraper
NB : ce film est tiré du roman pour jeunes adultes)de Markus Zusak, je ne connais pas du tout.
L'autodafé dans le film est saisissant.
Je ne connais pas Ursula Hegi, mais tu indiques qu'elle est née en 1946 et c'est aussi cela qui est très intéressant, de voir des écrivains nés après la guerre réexplorer leur histoire.
@ Tania : c'est ce qui est dit dans la mini bio qui accompagne son livre chez l'éditeur, c'est bien que des auteurs n'ayant pas vécu la guerre s'interroge et transforme cela en roman
« là où l’on brûle des livres on finira par brûler des gens »...
Ces tragédies sont de réels cauchemars et cette façon insidieuse de se mettre en place est tout à fait effrayante.
Notre cœur saigne lorsque l'on évoque cette période de l'histoire et les hommes ne semblent tirer aucune leçon !
Belle journée Dominique, gardons les yeux OUVERTS. Bises. brigitte
@ Plusmes d'Anges : ce genre de livre sert à cela: garder les yeux ouverts et voir qu'on peut facilement se faire manipuler
J'ai vécu à Münich il y a une vingtaine d'années, et parfois, je me demandais en rencontrant des personnes agées quel rôle elles avaient bien pu avoir pendant la seconde guerre mondiale...
Ayant lu "La leçon d'Allemand" de Siegried Lenz, un chef d'oeuvre de la littérature allemande, je poursuivrai bien par le livre dont vous venez de parler.
@ sew easy : je vois que nous avons des lectures communes, la leçon d'allemand est vraiment un livre magnifique
Celui ci n'a pas la même ampleur mais il est parfait pour faire comprendre la main mise des nazis sur la pensée des individus
Le sujet m'intéresse énormément (bien évidemment). Je note les références de ce livre dont je n'avais encore jamais entendu parler jusque-là.