L’excursion des jeunes filles qui ne sont plus - Anna Seghers - Traduit de l’allemand par Joël Lefebvre - Editions Ombres
Ce n’est pas un livre récent que celui là , écrit par Anna Seghers réfugiée au Mexique en 1943 pour fuir le nazisme, elle y raconte une excursion, celle d’une classe de jeunes filles au début de la première guerre mondiale.
Lorsqu’elle écrit cette longue nouvelle, elle a appris la mort de sa mère dans les camps et la destruction de sa ville natale, Mayence, lors de bombardements. Cette nouvelle dénonce l’antisémitisme, le nazisme, l’intolérance, elle mêle le passé et la période de la guerre de façon subtile.
Anna Seghers revit pour nous ce voyage dans sa pureté originelle. Il faisait beau "Quelques boutons d’or se mirent à briller dans la vapeur qui s’exhalait du sol à travers l’herbe haute", deux jeunes filles sont sur une balançoire, Leni et Marianne, Lore et Greta plus loin, et aussi Nora et Ida, Sophie et Melle Sichel l’institutrice.
Toute la troupe s’installe "la terrasse du café, au bord du Rhin était planté de rosiers (...) des tables couvertes de nappes à carreaux rouges et blancs (...) le son de jeunes voix bourdonnant comme un essaim d’abeilles". Une classe de garçons va les rejoindre un moment.
Ce récit idyllique est bien vite fracassé car Anna Seghers, comme un devin qui lirait l’avenir sur le visages de ces jeunes filles, nous dévoile implacablement leurs destins. Quinze destins tragiques.
Telle jeune fille au profil délicat épousera un dignitaire du régime fasciste et refusera son aide à Leni dont l’enfant sera enlevé par les nazis. Telle autre se suicidera de désespoir lorsque son mari accrochera le drapeau à croix gammée à leur fenêtre.
L’incessant va et vient est poignant, et comme les décors d’un théâtre, les deux époques vont s’interchanger au fur à mesure qu’avance le récit.
Des détails retenus de ce jour là deviennent des marques plus tard de la folie des hommes, ainsi les cheveux noirs ébène de Sophie, que revoit Anna Seghers, deviendront blancs après son voyage en wagon plombé.
Elle met en avant l’ironie de l’existence qui voulut que Marianne qui refusa son aide à Leni, périsse dans l’incendie de sa maison lors des bombardements mais que l’enfant de Leni survécut.
Anna Seghers cherche à comprendre comment ces jeunes filles ont pu se haïr ou se trahir, nous rappelle les actes de courage, les dénonciations, les reniements, les fautes et les sacrifices, et fait " apparaître en filigrane ce qui aurait pu advenir si .... " Elle sait que la destinée de ces jeunes filles est semblable à la destinée de son pays car " l’essaim de jeune filles serrées les unes contre les autres, qui remontait le fleuve dans la lumière oblique de l’après-midi, faisait partie intégrante du pays."
Mayence
Ce livre court est salutaire pour ne pas oublier et de garder à l’esprit la question restée sans réponse "Par quel processus, lâcheté, ambition, indifférence, tout un peuple a-t-il pu soutenir ou même simplement tolérer le crime commis en son nom ? " et comment n'importe quel peuple est capable d'en faire autant !
Dans sa postface Jean Tailleur qualifie le texte de "requiem " C’est le mot juste.
Le texte a fait l'objet d'adaptation au théâtre et Amanda a eu la chance de participer à sa lecture en public.
L’auteur
Netty Radvany Reiling, dite Anna Seghers (Mayence, Rhénanie-Palatinat, 1900 – Berlin, 1983). Née dans une famille de la bourgeoisie juive de Mayence, après des études d’histoire de l’art, elle se tourne vers la littérature, Prix Kleist en 1928 pour La Révolte des pêcheurs de Sante-Barbara, elle adhère au Parti communiste allemand, puis à la Ligue des écrivains révolutionnaires-prolétariens. Placée sous surveillance après l’accession de Hitler au pouvoir, elle émigre en France, où pendant six ans elle participe activement au combat des intellectuels contre le fascisme, tout en poursuivant son œuvre de romancière. En septembre 1940, fuyant Paris occupé, elle part pour les États-Unis puis de là vers le Mexique. Rentrée à Berlin en 1947, elle devient en présidant l’Union des Écrivains de RDA, l’une des figures dirigeantes, l’une des voix les plus écoutées de la nouvelle culture socialiste.
Commentaires
Voilà un livre qui peut tout-à-fait m'intéresser, les questions qui y sont soulevées sont toujours autant d'actualité. Dans un registre similaire, as-tu lu les livres d'Irmgard Keun, qui avaient été réédités il y a pas mal de temps ?
@ Aifelle : Non je ne connais pas cet auteur je vais regarder sa biblio merci à toi
Ce texte est terrible et magnifique. Tu me rappelles de bon souvenirs : cet exercice fut difficile, mais nous avons adoré lire ce texte (une auditrice avait les larmes aux yeux quand nous avons terminé). A présent j'ai envie de le relire à tête reposée, toute seule, pour moi.
@ Amanda : je comprends tout à fait cette émotion que tu as du avoir , la lecture est très émouvante et ce texte va rester très fort pour moi et une belle découverte
Enfin un livre d'Anna Seghers sur un blog, et le tiens en plus, Dominique ... Cela ne m'étonne pas du tout ! Quel talent dans l'écriture de cette romancière allemande dont j'ai lu quelques-unes de ses œuvres dont "Transit" et "Les morts restent jeunes", fresque allemande sur la grandeur et la misère du nazisme dans plusieurs familles ... Il faut que je me procure absolument ce roman !
Nanne : A l'inverse de toi c'est mon premier livre d'Anna Seghers mais du coup et en plus avec ton commentaire j'ai très envie d'en lire plus
C'est un petit livre par la taille mais pas par la qualité du texte
@ Aifelle : après recherche les livres sont indisponibles chez l'éditeur mais je ne désespère pas de les trouver en bibliothèque
En effet le sujet de ce livre est très tentant... Mais très sombre aussi...
@ L'or des chambres : oui effectivement le ton est assez sombre mais c'est de l'excellente littérature et il est rare qu'on arrive à en faire avec des sujets légers hélàs ! Par contre je te rassure il n'y a aucun misérabilis là dedans, c'est très sobre et c'est ce qui fait sa force
" et comment n'importe quel peuple est capable d'en faire autant !":
à ne pas oublier !
@ Fifi : tout à fait, ce genre de textes est là pour nous rappeler que l'on passe très vite de victime à bourreau dans tous les pays
Tu ne viens plus chez moi... Tu es fachée ???