Chers voisins : quand ils se font bourreaux
Un sujet grave et diffcile, celui de l’antisémitisme en Pologne après la Seconde Guerre mondiale. La Pologne a perdu 90% de sa population juive et rares sont les survivants qui sont revenus se réinstaller dans leur pays d’origine. Quand ils reviennent ils sont accueillis non seulement froidement mais avec une réelle animosité.
Ces personnes qui viennent de passer des mois en camps de concentration ou en exil en URSS, qui ont pour la plupart perdu toute leur famille, sont à nouveau victime d’antisémitisme.
Et l’incroyable se produit, alors que chaque famille polonaise eût à souffrir de l’occupation nazie, une hostilité se manifeste à l’égard des juifs survivants.
Il va y avoir plus de juifs tués après la fin de la guerre qu’avant celle-ci. Des pogroms eurent lieu dans plusieurs villes, presque en toute impunité. Ce qui paraît impossible et impensable a pourtant lieu. Il y eut sans doute plus d’un millier de victimes dans tout le pays.
La ville de Kielce aujourd'hui
Lorsque l’on cherche les causes de ce déferlement de violence la première raison invoquée est un soi-disant soutien apporté par les juifs au communistes lors de l’invasion d’une partie de la Pologne par l’URSS en 1939.
Cette explication est largement insuffisante « Il est surprenant que les tenants de cette explication, prompts à dénoncer l’accueil chaleureux que les Juifs réservèrent prétendument aux Soviétiques en 1939, n’évoquent jamais la joie que manifesta une frange de la population lors de l’arrivée des nazis, dans l’est du pays, en 1941… »
Jan Gross pense qu’une « des racines fondamentales du conflit entre les Polonais et les Juifs après la guerre, était l’appropriation illégale de biens appartenant à des Juifs pendant la guerre. »
Un peu partout des pillages avaient eu lieu lors de la déportation des familles juives, vols et pillages souvent perpétrés par ....leurs voisins. Des polonais occupèrent les appartements et des maisons des Juifs Polonais déportés, certains même passèrent de spectateur à délateur auprès des autorités nazies.
Après guerre des questions se posaient « qui s’était enrichi au dépens des juifs et dans quelles proportions ? » d’ailleurs l’administration n’avait pas été en reste dans cette main mise sur des biens juifs.
En juillet 1946 à Kielce un jeune garçon de 8 ans fugue pour aller rejoindre des amis à quelques kilomètres, il rentre le soir même à son domicile mais le lendemain le père porte plainte accusant les juifs d’être à l’origine de l’enlèvement de son fils.
La foule se rassemble, un homme juif est suspecté, des immeubles sont perquisitionnés sans rien trouver et tout dégénère.
La foule s’arme de barre de fer, de pierres, des juifs sont défenestrés, des coups de feu sont tirés.
Les victimes
Les personnes hospitalisées ont peur de représailles et craignent une attaque de l’hôpital par la foule.
« Tout au long de la journée, dans toute la ville, des hommes en uniforme, des soldats, des policiers, des scouts des cheminots, poursuivirent, agressèrent, frappèrent et tuèrent des Juifs »
Le Parti communiste avait tout à gagner aux dissensions entres les communautés, le PC local suggéra après le pogrom que « l’on crée une institution pour faciliter le départ des Juifs de Pologne »
Les blessés
L’Eglise catholique quant à elle ne trouva pas nécessaire de s’adresser à ses fidèles par une lettre pastorale et en réponse à 9 journalistes étrangers qui l’interrogeait, le Cardinal Hlond précisa « J’ai enquêté sur les faits et je n’ai pas découvert d’éléments justifiant la publication d’une lettre ». Plus tard il y eu une condamnation vague pour les « violences » commises, sans pour autant parler de pogrom ou de juifs.L’Eglise ferma les yeux une nouvelle fois.
Pas d’éléments ? 43 personnes furent tués ce jour là à Kielce.
La population juive après le pogrom
Jan Gross livre une étude extrêmement précise et détaillée du pogrom de Kielce qui eût lieu le 4 juillet 1946 et d’une façon générale de la vague de violence qui se produisit, des réactions officielles, des mesures prises ou plutôt l’absences de mesures.
C’est un livre d’historien, tout est passé au crible, les documents policiers de l’époque, les enregistrements des témoignages, les interrogatoires des polonais spectateurs ou acteurs. Il montre les réactions de toutes les instances. : administration, Parti Communiste Eglise catholique, justice. « Là où il devrait y avoir une culpabilité et une honte absolues il n’y a qu’un silence gêné »
Jan Gross est américano-polonais ce qui lui donne une crédibilité certaine. Il fut la cible de procès en Pologne pour diffamation et incitation à la violence ! Les charges furent finalement abandonnées.
Il a publié un livre qui porte pour titre Les Voisins, porte sur les réactions du village Jedwabne dans lequel en 1941, les Polonais, inspirés par les Allemands, ont brûlé des centaines de juifs.
Pour moi un livre utile « Un livre écrit avec passion par un auteur engagé » qui a le mérite d’informer sur des faits passés sous silence. Comme dans de nombreux pays occupés, comme en France, comme dans les Pays Baltes, il est bon que des livres comme celui-ci paraissent. Ce n’est pas en niant le passé que l’on peut en éviter le retour. Ce n’est pas en niant l’antisémitisme qu’on le fera disparaître.
Le livre : La peur - L’antisémitisme en Pologne après Auschwitz - Jan T Gross - Editions Calmann-Lévy
Commentaires
Tout à fait intéressant, doublement pour moi avec ma grand-mère polonaise. L'auteur a raison pour les pillages qui ont alimenté la rancœur face à ceux qui sot rentrés chez eux après l'horreur des camps, mais je pense que ce trait n'est pas propre à la Pologne. Les Polonais sont antisémites (ce n'est bien sûr pas une généralité) depuis bien plus longtemps...
@ Ys : effectivement le retour des survivants a posé des problèmes dans d'autres pays, la restitution des biens par exemple a été difficile et a pris parfois des décennies, mais une violence comme celle ci qu'il faut bien appeler Pogrom n'a pas eu lieu ailleurs.
Absolument incroyable, j'en tombe à la renverse! De l'antisémitisme après 1945, bon, on s'en doutait, et pas qu'en Pologne, mais des pogroms!
Restons vigilants!
@ keisha : c'est ce qui m'a fait lire et faire un billet sur ce livre, ahurissement de savoir que la violence a perdurer APRES la guerre et même si elle n'a pas touché toute la Pologne les faits sont là
Bonjour Dominique, j'ignorais aussi cette tragique histoire. Et malheureusement, j'avais lu que c'est en Pologne que les premières lois antisémites avaient été promulguées (avant la guerre de 39-45). Restons vigilants en effet. Bonne journée.
@ Dasola : on est stupéfait, les pays d'Europe de l'est en général sont des pays où sévit l'antisémitisme avec la Russie mais cet acharnement est insoutenable
Je me souviens de mon étonnement lors d'un voyage dans les années 70 en voyant à quel point l'antisémitisme était encore virulent. Jusqu'à refuser de m'indiquer l'emplacement du ghetto à Varsovie pour certains. Un vieux monsieur m'avait appris qu'il y avait eu encore une sorte d'épuration dans les services publics peu d'années auparavant. Sur le silence autour des juifs en Pologne, j'avais beaucoup aimé le roman "en mémoire de la forêt" paru l'an dernier.
@ Aifelle : si on tolère dans un pays des violences comme celles montrées dans le livre de Jan Gross, on a aucune peine à croire que les juifs aient été victimes de discriminations de l'état par ailleurs !
j'ai lu le même livre que toi j'en parle dans quelques jours chuuuuut
Un témoignage nécessaire. Je partage complètement ta conclusion.
@ Tania : un livre loin des livres de détente mais un livre plus qu'utile
J'ai cru au début que tu parlais du roman "En mémoire de la forêt" que cite Aifelle et que j'ai l'intention de lire... Le témoignage que tu as lu semble passionnant et indispensable.
@ kathel : je fais ici dans quelques jours un billet sur le livre en question qui est une façon plus légère d'aborder le sujet
hélas j'ai déjà lu sur ce sujet , et je suis allée en Pologne en 2000, l'antisémitisme était courant.
Je vous raconte une anecdote
j 'étais chez un journaliste et un professeur d'université(je donne ces indications pour situer le niveau intellectuel) je leur dis que j'aime Mendelson
il me répond "mais ce n'est pas un musicien, c'est un juif"
@ luocine : on pourrait croire que l'antisémitisme repose essentiellement sur la bêtise, l'absence de culture ...hélas hélas pas du tout !
merci de ton exemple Luocine il vient s'ajouter aux propos d'Aifelle et conforte dans l'idée que des livres comme ceux de J Gross sont plus que nécessaires
"Ce n’est pas en niant le passé que l’on peut en éviter le retour. Ce n’est pas en niant l’antisémitisme qu’on le fera disparaître." Oh, oui !!!
Il est incroyable que l'homme ne cherche à s'élever vers d'autres sphères. L'histoire de la Pologne est étrange, elle a même été rayée de la carte à une certaine époque, il faudrait chercher dans l'inconscient collectif de ce peuple, peut-être ce livre arrive-t-il à apporter sa lumière... Je l'espère. Belle journée Dominique, à bientôt. brigitte
@ Plumes d'Anges : on ne peut qu'être étonné et même totalement stupéffait de voir réagir ainsi ce peuple qui par ailleurs a été un des pays les plus durement touché pendant la guerre, et pas seulement les juifs polonais, les victimes se font bourreaux .........
J'ai fait il y a deux ans un court séjour à Cracovie, j'ai été frappée par l'attitude de notre guide lors de la visite du Guetto, malgré les informations historiques qu'elle donnait, un moment sa langue a fourché et elle a rappellé que "ce qu'avait fait les Polonais n'était pas pire que ce qu'avaient fait les Hongrois face au même problème". Il est sûr que la Hongrie n'est pas exempte d'antisémitisme, il n'est pas évident que "pas pire" soit une excuse ... Je suis aussi tombée de haut en apprenant que la maison de R. Höss, ex-commandant du camp d'Auschwitz, qui jouxte ce lieu, est aujourd'hui habitée par une famille de Polonais, que certaines autres ont investi d'anciens bâtiments pas très loin des barbelés de Birkenau .... J'étais accompagnée de profs d'histoire et d'une ancienne déportée. Je vais m'empresser de leur signaler l'oeuvre de Jan Gross, et je note "En mémoire de la forêt". Merci !
@ Athalie : encore un témoignage qui va dans le même sens. Comme tu le dis l'antisémitisme ici ne justifie pas celui qui a lieu là !!
Jan Gross a écrit un autre livre sur le sujet : les voisins
et là il s'agit des pogroms perpétrés par les polonais et eux seuls pendant la guerre, longtemps on a voulu les faire passer pour des crimes allemands
lil y a aussi le livre d'une journaliste polonaise Anna Bikont :Le Crime et le Silence - Jedwabne 1941, la mémoire d'un pogrom dans la Pologne d'aujourd'hui
Dans ce livre alors qu'elle est dubitative au début elle découvre peu à peu la réalité des faits et c'est grâce en partie à elle et à un juge courageux que les poursuites contre Jan Gross ont été abandonné.
Le genre d'ouvrage qui donne une bien drôle d'image de notre "humanité".... Une amie ayant visité un camp en Pologne m'a décrit l'antisémitisme encore larvé là-bas, à faire frémir....
Comme quoi, au lieu de réduire les heures d'Histoire au lycée, on devrait plutôt encourager l'enseignement de l'histoire et de la philosophie, l'éthique par exemple...
@ Margotte : tu parles de l'enseignement de l'histoire, j'ai entendu il y a deux jours les résusltats effrayants d'une enquête menée auprès des enseigants d'histoire
certains faits et sujets et en particulier la seconde guerre mondiale ou la Shoah ne sont plus abordés car ils déclenchent des réactions que l'enseignant a du mal à juguler, des réactions antisémites en particulier
entre 30 et 50 % des profs disent s'auto censurer en n'abordant plus certains sujets !!!!!!!
Des livres et recherches ô combien nécessaires!
Tes mots, les commentaires, tous vont dans le même sens; plus on en parlera mieux ce sera, aucun doute.
@ colo : lire sur ces sujets est difficile, parfois très dur mais tout à fait indispensable
ouvrage indispensable, mais bien triste lecture!
@ miriam : difficile oui mais aussi tellement nécessaire
La législation antisémite en territoire polonais date de l'empire russe, quand la Pologne était rayée de la carte depuis les partages du XVIIIè siècle : il y avait une zone de résidence, le Rayon, des restrictions multiples. Mais la première législation raciste de l'histoire vient d'Espagne, la limpieza de sangre (la pureté du sang) édicté par les rois catholiques : un juif ne pouvait être espagnol. La conversion ou l'exil
@ esther : merci infiniment pour ces compléments qui je suis sûre intéresseront tout le monde , il y a longtemps que je veux lire quelque chose de plus général sur le sujet et si tu as un livre à me recommander je te remercie par avance
Je note ce livre en espérant qu'il fasse son chemin et efface un peu de l'antisémitisme bien ancré en Pologne et ailleurs... Les voisins français durant cette époque sombre n'ont pas été meilleurs et se sont servis eux-aussi.
@ nadejda : les voisins ailleurs ne sont pas exempts de fautes et de responsabilité !! les deux livres de Jan Gross sont à recommander pour qui veux lire sur le sujet
Dure lecture mais que je crains encore d'actualités
C'est drôle notre fils nous parlait hier au soir d'un documentaire qu'il avait trouvé sur le net qui ne traitait pas tout à fait de cela mais du fait que à l'époque on n'était pas au courant vraiment de ce qui se passait
je te donne le lien mais je en sais pas si on peut encore voir la vidéo
Bonne journée
http://programmes.france3.fr/documentaires/index.php?page=doc&programme=docs-interdits&id_article=3187?f
@ autour du puits : merci pour le lien on doit pouvoir encore voir l'émission sur France Pluzz
Faut-il croire en l'homme ? J'en doute parfois et ton billet m'en donne malheureusement l'occasion...
Oui des livres comme celui-là sont indispensables! Il faut les lire! ET c'est bien d'aller au fond des choses en soulignant la lâcheté et la complicité de l'église catholique et du pape en particulier pendant et après la guerre! Bien aussi de rappeler comme le fait Esther le mal fait par les lois sur "la pureté du sang" édictées par les rois catholiques, en Espagne : même un juif converti au christianisme n'était pas "lavé" de la "souillure" du sang!
Cela fait quelque temps déjà que j'ai envie de lire cet ouvrage et ton article confirme mon envie. A propos de Jedwabne j'ai lu Le crime et le silence d'Anna Bikont. Elle témoigne effectivement d'un antisémitisme forcené (encore aujourd'hui) qui m'a fait froid dans le dos. Mais il y a aussi des Polonais qui font un travail remarquable sur la mémoire du passé juif de leur pays.
@ Agnès : je viens un peu tardivement répondre à ton commentaire
J'ai lu aussi ce livre et j'ai effectivement été impressionnée par les deux aspects un antisémitisme encore très très vivace ET un effort d'une part de la société pour regarder l'histoire de la Pologne avec un regard plus impartial
Cela rappelle en France le long cheminement jusqu'à la reconnaissance des crimes commis envers les juifs par la police française par exemple
Ce livre doit être absolument passionnant. Merci d'en parler.
K'ai sous la main, le "Journal de Rutka", qui vécut cloîtrée dans le ghetto de Bedzin en Pologne en 1943. Ce journal fut retrouvé après la guerre et a dormi soixante ans dans un tiroir. Il est suivi par "Les Juifs et la Pologne par Marek Halter".