L’ âme Russe - Episode 1 La Conversation des poètes
Révolte des décembristes, tableau peint par le peintre russe Vasili Timm (1820-1895).
Une lecture des poèmes de Pouchkine dans l’émission de Guillaume Gallienne « ça peut pas faire de mal » avait titillé ma curiosité.
le titre flamboyant de ce livre Le soleil d’Alexandre était fait pour m’attirer.
La poésie de Pouchkine, celle que tous les russes se récitent sans se lasser était déjà d’un intérêt certain mais sous la plume d’André Markowicz c’est beaucoup plus que cela.
En 1825 le 14 décembre, la tentative désespérée de 200 aristocrates d’imposer une constitution au Tsar pour supprimer l’ignoble servage et mettre à bas l’absolutisme va de finir dans le sang, les procès, des exécutions, le bagne en Sibérie pour tous ces hommes. « Une génération brisée » dit André Markowicz et c’est cette génération que l’on entend dans ce livre.
Révolte des décembristes - Vasili Timm (1820-1895).
« Organisé autour de la voix de Pouchkine » ce poète qui est selon Tchekhov « comme l’air que l’on respire » le livre est une vaste fresque de la vie culturelle, intellectuelle, poétique ce cette Russie sous le joug.
Elle commence avec Radichtchev condamné pour ses écrits par la Grande Catherine et qui revenu du bagne finira pas se suicider, il a laissé une élégie « La Mélancolie passion des coeurs purs qu’un sort injuste oppresse »
En avançant et en déroulant la vie de Pouchkine ( 1802-1841) la liste des noms amis prend de l’ampleur, pour la plupart inconnus faute de traduction jusqu’à aujourd’hui.
Joukovski, Radichtchev, Batiouchkov, Delvig, Baratynski, Viazemsky..............
Lermontov Griboïedov (haut) Karamzine
Pouchkine est le fil lumineux qui éclaire cette époque. Il est le centre des conversations qu’entretiennent tous ces hommes, dans leurs rencontres mais plus encore dans leurs oeuvres.
Ils chantent leur jeunesse, la guerre contre Napoléon, les amis morts. Ils traduisent la poésie étrangère. Ils sont surveillés, épiés, traqués parfois. Tous subiront peu ou prou le terrible poids de la répression tsariste, écoutez Pouchkine dans un magnifique A Ovide dire la souffrance de l’exil, de la condamnation inique et l’espoir du pardon :
.. l’isolement, l’abandon et l’oubli,
Tu n’entends plus les sons de ta langue natale,
Vers tes lointains amis ta complainte s’exhale
(...) Adoucissez la main qui châtie même juste....
Ils ont une même vision du destin de la Russie, de la littérature, un même amour de la poésie et malgré les dangers, les deuils, les séparations
« Tous ces hommes, tout au long de leur vie, se fréquentent, échanges, s’écrivent, écrivent en fonction les uns des autres, entretiennent une conversation destinée à devenir la base même de la culture russe »
L’admiration d’André Markowicz pour Pouchkine transparaît tout au long des pages, cet exceptionnel traducteur réalise ici un pari impossible, rassembler et traduire tous ces poètes inconnus en France, nous donner à comprendre cette période bouillonnante.
Les pages de poèmes, d’apports biographiques alternent, Pouchkine au Caucase par exemple :
« Si Pouchkine n’avait écrit, de toute sa vie, que ce qu’il a écrit au cours de ces trois mois d’isolement fiévreux, il serait déjà l’écrivain le plus important de son siècle en Russie » dit André Markowicz !
Le duel de Pouchkine - Alexandre Avvakmovich Naumov
Ce « Soleil d’Alexandre » titre que Markowicz emprunte à un autre poète : Ossip Mandelstam, brille de mille feux. La parole au poète pour terminer :
....N’avoir pour maître que soi seul ; être en repos, devoir
Ne contenter que soi ; pour quelque honneur infâme
Ne rien devoir courber, le cou, les rêves, l’âme ;
Selon sa fantaisie, vagabonder, errer,
Admirer la nature en sa splendeur sacrée,
Et frissonner de joie, plein de larmes sereines,
Devant la création de la pensée humaine........
Le livre : Le Soleil d'Alexandre - André Markowicz - Editions Actes Sud 2011
Commentaires
Keisha la voyageuse, le retour : j'ai même visité à Irkoutsk une jolie maison bien meublée/musée où habitait une des familles.Evocation durant la visite de ces décembristes...
@ Keisha : veinarde va !!!
"Il n'est de bonheur sans amour !
J'ai quitté les fêtes urbaines,
Les femmes... oh, sois en certaine,
Tu es plus belle sans atours,
Plus belle sans colliers ni gemmes,
Ne change pas, reste la même !
Auprès de toi, mon seul désir
Est de goûter à l'avenir :
Amour, exil, choisi, plaisir ..." Extrait du poème Les Tziganes
C'est superbe, tu as raison, à lire et relire sa poésie. Merci Dominique et bonne journée.
@ Colo : la poésie console de tout et quand on n'a plus envie de lire elle est toujours là ....Les Tziganes magnifique
Beaucoup de noms inconnus en effet et que de vies brisées pour cette génération talentueuse!
@ Markowicz parle de génération perdue sacrifiée mais c'est bien ça, entre la peur, les condamnation toute une génération d'hommes jeunes et talentueux ont été condamnés à se taire et à souffrir
Je ne connaissais pas cette tentative de putch. Tu me donnes envie de réparer mon inculture.
@ alex Mot à mots : une tentative pour la bonne cause : instauré un monarchie constitutionnelle et abolir le servage mais ça a très mal tourné
Magnifique ! Pouchkine, fil lumineux de cet ouvrage...(j'ai dans mes "réserves" pour un futur billet un poème que j'adore intitulé "le Prophète" ) et des poètes amis à découvrir, et l'Histoire bien sûr. Merci Dominique pour cette énergie que tu sais si bien faire passer. brigitte
@ Plumes d'Anges : je viens de passer un moment chez toi à sourire , toi ici en poésie : vive les échanges
Magnifique ! Pouchkine, fil lumineux de cet ouvrage...(j'ai dans mes "réserves" pour un futur billet un poème que j'adore intitulé "le Prophète" ) et des poètes amis à découvrir, et l'Histoire bien sûr. Merci Dominique pour cette énergie que tu sais si bien faire passer. brigitte
Celui là m'interesse beaucoup. j'ai entendu récemment beaucoup de chose autour des décembristes dans mes lectures récentes (entre autres le Fou du Tzar de Jaan Kross) je vais le chercher
@ miriam : attention il faut vraiment être amateur de poésie !!
Merci pour cette belle présentation d'un livre que j'avais noté dans mes tablettes et que tu me donnes envie d'acheter plus vite.
@ Nadejda : j'étais sûre que cela allait te plaire
Le thème me rappelle mes vieilles lectures d'Henry Troyat, j'adorais ses grandes fresques. Je me doute que le niveau n'est pas le même ici. Je le note, c'est une période passionnante que je connais mal.
@ Aifelle : ici ce n'est pas du tout un roman mais une sorte de promenade poétique avec pour chaque période un point sur les évènements et une série de poèmes qui se répondent ou qui illustrent le propos
Merci Dominique, m´intéresse énormément.
@ Alba : à lire au bord de l'adour ...........
H. Troyat :
- "La disparition brutale de Pouchkine a servi sa légende. Il n'a pas connu l'empâtement physique et moral, les cheveux blancs, le petit ventre, la faiblesse de la vue, les honneurs enfin. C'est en pleine santé, en pleine force qu'il s'est envolé, arraché par un coup de vent. Il y a un contraste saisissant entre ce destin de désordre et cette œuvre de mesure. S'il avait écrit comme il vivait, Pouchkine eût été un poète romantique, inégal dans son inspiration. S'il avait vécu comme il écrivait, il eût été un homme pondéré, sensible et heureux. Il n'a été ni l'un ni l'autre. Il a été Pouchkine."
@ JEA : merci merci pour cette citation que je vais remonter dans mon billet
JEA vous êtes un homme précieux et tellement érudit que votre passage est toujours un apport essentiel
"S'il fallait en deux noms donner de Pouchkine une image, je crois qu'il faudrait évoquer Watteau, et qu'il faudrait citer Mozart. Il a l'espièglerie de ces deux génies. Il a ce demi-ton qui va loin." (Hubert Juin)
Ton billet me donne une envie folle de retrouver l'âme russe, ce "Soleil d'Alexandre" semble passionnant, merci, Dominique.
Je te l'ai peut-être déjà écrit, mais je n'ai vraiment compris la place de Pouchkine dans la littérature russe et dans le coeur des Russes qu'en découvrant, à la galerie Tretiakov, un bouquet de fleurs fraîches sous son portrait ( http://lizotchka-russie.over-blog.com/231-index.html ).
@ Tania : merci beaucoup pour ce lien
j'aime beaucoup la citation de Hubert Juin , je vais l'ajouter à celle de JEA et les remonter dans mon billet
Toi aussi tu avais été titillée!
A mon avis il va y avoir une suite avec Anna....
Non????
J'aime beaucoup ces "séries" publiées par Actes Sud,dans le domaine musical il y a aussi de quoi se satisfaire
Hélas je crois que dans le cas présent je ne suis pas assez amateur de poésie
Magnifique billet
Merci
@ autour du puits : chacun nos préférences, nos sensibllités et cela fait un tissage serré de billets intéressants et riches chez les uns ou chez les autres, moi je reste fascinée par tes photos !!
Aaaah ! Voilà qui est passionnant, qui m'avait totalement échappé et sur quoi je vais me précipiter. Merci à vous, j'adore Pouchkine, "La Fille du capitaine" est un de mes éblouissements d'enfance (collection Rouge et or ? avec jaquette illustrée), qu'une lecture d'adulte n'a fait que renouveler. Son théâtre est passionnant, et sa poésie si difficilement accessible... Et la terrible frustration de la lecture inachevée du "Nègre de Pierre le Grand"!
@ Agnès : comme je comprends cela , j'ai acheté la Fille du Capitaine en livre audio et je me réjouis à l'avance de l'écouter
J'ai lu des tas de choses sur les décembristes, ce sont mes amis intimes! Et de plus j'adore Pouckine le père de la littérature ruse... en russe!
C'est lui qui a remis la langue russe à l'honneur dans la littérature en écrivant "Eugène Onéguine" dans cette langue. La bonne société de l'époque (ceux qui savaient lire et écrire donc) ne parlaient que le français. Le russe était la langue du peuple donc méprisée.
@ Claudialucia : j'avais lu un peu mais pas énormément, la correspondance de Dostoievski qui parle de son expérience personnelle mais j'ai découvert ici tout une série de poètes inconnus et surtout de voir à quel point le pouvoir tsariste a pesé sur eux au point de quasiment détruire leur vie même quand ils n'étaient pas condamnés
Quelle passion pour l'Histoire !!!! Je suis impressionnée !!
@ Malika : pour l'histoire ET pour la poésie
Je n'arrivais jamais, jamais, à retenir les noms des héros de Tolstoï, Dostoïevsky, Tchékov. Mais Pouchkine, oui. Quelle lumière il diffuse ce grand bonhomme! Sur mes îles, je pourrais vivre avec Pouchkine (et Tchékov) et apprendre peut-être les noms de tous ces inconnus que tu mentionnes.
@ Damien : on est servi ici par le nombre de poétes très célèbres en Russie et inconnus totalement pour nous en raison du manque de traduction
Quand tu parles d'îles aussitôt on s'imagine préparant notre malle de survie et quels livres mettre dedans :-)
Je ne connais pas bien le monde russe,qui, je ne sais pourquoi, ne m'attire pas beaucoup, aussi suis-je très intéressée par cette nouvelle série d'articles ! Ce livre semble tout à fait passionnant !
@ Annie : ce n'est pas forcément le meilleur ouvrage pour démarrer chez les Russes mais pourquoi pas ?
Bonjour Dominique, je ne suis pas du tout familiarisée avec Pouchkine et son oeuvre, ce livre m'a l'air une bonne introduction. En revanche, sauf erreur de Wikipedia, les dates de naissance et de mort de Pouchkine (mort en duel) sont 1799 (et non 1802) - 1837 (et non 1841). Bonne après-midi.
@ Dasola : je me suis fiée aux dates données mais je les ai peut être mal comprises
Coïncidence : alors que je viens de publier un article sur une poète russe, Anna Akhmatova , j'ouvre ton blog et retrouve cette âme russe qui m'est chère. Il est temps que je me plonge, comme toi, dans la lecture de Pouchkine.
Ton billet m'en donne très envie.
@ Claire Lise , je vais aller lire ton billet car c'est un de mes poètes favoris et j'ai particulièrement aimé la dernière édition de ses poèmes
http://asautsetagambades.hautetfort.com/archive/2010/12/12/pour-amoureux-de-poesie.html
Très belle série d'articles sur l'âme Russe. Actuellement j'apprends le roumain (pour un séjour l'été prochain dans les Carpates!), mais ensuite je prévois de me remettre au russe pour m'immerger pleinement dans la culture de ce pays. Je veux également visiter Moscou et Saint-Saint-Pétersbourg... des villes mythiques. Récemment, j'avais vu un film qui m'a encouragé dans ce sens: Svetlana Geier, La femme aux cinq éléphants
Cela donne envie de lire les auteurs dans leur langue natale...
@ Marc : je partage l'envie , voir Saint Pétersbourg est un rêve et le voir si possible en hiver ...
le film dont vous parlé est un excellent souvenir, cette femme penché sur Dostoïevski après avoir été elle-même contrainte de quitter son pays est vraiment un excellent moment de cinéma ET de littérature