Vous allez retrouver ici les deux personnages de mon billet précédent : Napoléon, ou du moins la fin de l'ère Napoléonienne et Turner qui donna des couleurs à cette année (ces années devrait on dire d'ailleurs) sans été.
En avril 1815, près de Java, se produisit une éruption volcanique qui entraina un bouleversement climatique pendant 5 ans et qui changea la vie des hommes sur tous les continents, entraina plusieurs millions de morts, provoqua des changements importants pour la science, pour l'art, pour la littérature.
Sans doute la première catastrophe climatique répertoriée, l'éruption du Tambora, qui peut-être comparée à celle de Santorin 1600 ans Avant JC qui anéantit la civilisation Minoenne.
Cette éruption localisée entraina des cataclysmes en chaine et donne un aperçu assez effrayant de ce qui attend la planète dans les années à venir, car le changement ne fut alors que de 2 °C…
Si vous êtes étonnés de n'avoir jamais entendu parler de ce volcan et de son éruption, pensez que 1815 en France c'est la fin des guerres napoléoniennes et les regards sont plutôt tournés vers Saint-Hélène que vers Java.
Je vous propose de faire un tour du monde des conséquences qui grâce aux explications très claires, aux tableaux statistiques et aux schémas du livre, sont très clairement exposées
Commençons au plus près de l'éruption : outre les dégâts et les morts dus à la lave et aux fumées toxiques, il y eu bien sûr un tsunami, on estime pour Java et les îles proches à environ 100 000 victimes, la cendre recouvrait les cultures et l'obscurité dura une semaine entière.
Bien entendu le nuage ne s'arrêta pas aux frontières ! c'est toute l'Asie qui fut atteinte plongeant des régions entières dans le chaos et la famine
Les rizières du Yunnan
Au Yunnan en Chine c'est la famine qui fait des ravages, le riz est sensible aux variations climatiques et les paysans meurent de faim, on vend des enfant pour un sac de riz, ils sont prêts à tout aussi quand la survie devient impossible ils se tournent vers une autre culture qui fera à terme des ravages conséquents : la culture du pavot. En quelques décennies, l'opium fut cultivé à travers le Yunnan Le « triangle d'or » de la production internationale d'opium était né.
« Un poète chinois Li Yuyang, a évoqué de la manière la plus émouvante qui soit le monde dévasté par la crise climatique »
La pluie tombe sans fin, comme les larmes de sang
d’un homme sentimental.
Les maisons coulent et frissonnent
comme un poisson dans les eaux qui ondulent
Je vois mon fils aîné accroché à la chemise de sa mère.
Le petit pleure sans qu’on l’entende. Il n’y a plus d’argent, et
Le riz est aussi rare que les perles, nous offrons nos couvertures pour nous sauver.
Un seul dou de riz, et rien de plus à la maison.
Nous n’avons que quelques acres, et rien n’y pousse.
Ma femme et mes enfants ont partagé leurs grains pour
Toute l’année.
Restons en Asie avec l'Inde et le Bengale : la poussière de l'atmosphère va entrainer des changements dans l'évaporation dans l'océan indien et entrainer des variations funestes des moussons, une alternance de sécheresse et d'inondations.
Plus pernicieux, la variation des températures et de l'humidité provoque la mutation du germe du choléra qui va flamber et se propager comme une trainée …de lave
L'épidémie sera mondiale, elle atteindra Paris, Moscou, et les USA.
le Choléra a atteint le Québec
En Europe c'est une baisse généralisée des températures, des étés pluvieux, inondations, retard des cultures.
« Les Allemands appellent 1817 l'année du mendiant »
C'est surtout l’Irlande qui connaît une effroyable famine, c'est pour les Irlandais le début d'une période très sombre, le gouvernement anglais restant sourd à leurs appels et à ceux de leur poète William Carleton qui écrit un conte resté fameux sur cette famine oubliée
En Suisse des glaciers avancent jusqu'à détruire le Val de Bagnes. A Chamonix Percy Shelley note
« Ces glaciers avancent constamment dans la vallée, ravageant dans leur lente mais irrésistible progression les pâturages et les forêts qui les entourent. »
Le glacier des Bossons Chamonix © ivredelivres
Curieusement en Angleterre il y eu un côté positif aux variations climatiques. Pour comprendre il faut d'abord dire qu'il y eu un effet paradoxal à cette catastrophe, si la planète se refroidit, les pôles eux se réchauffent et cela crée l'ouverture temporaire des mers polaires. Les explorateurs britanniques vont sauter sur cette opportunité pour partir à la recherche du fameux passage du Nord-Ouest. Si ils eurent de la chance quelques saisons, la suite fut plus difficile avec la perte de la fameuse expédition Franklin.
Expédition arctique en 1819
Mais finissons notre tour du monde avec les Etats-Unis qui connurent leur première vraie crise économique, les gelées et la sécheresse dans l'est du pays détruisirent les récoltes, poussèrent les agriculteurs à la ruine, on vit des chutes de neige conséquentes en plein été !
L'« année 1816-où-il-a-gelé-à-en-mourir ». Le 6 juin « comme dans un mauvais rêve, il commença à neiger. De gros flocons, humides.»
« Les oiseaux tombaient des arbres, raides morts, tandis que les fermiers craignaient que leurs moutons qu’ils venaient de tondre ne survivent pas »
La famine qui suivit déclencha un déplacement de population et la première ruée vers l'ouest et un afflux d'émigrants
« 1817 est l’année qui a vu le plus grand nombre de migrants britanniques et européens arriver sur le sol américain.»
Finissons par une note culturelle
« Le froid était « exceptionnel » et les villageois se plaignaient du retard du printemps.Quelques jours plus tard, une tempête de neige leur gâcha la vue de Genève et de son célèbre lac »
des tempêtes exceptionnelles se lèvent sur le Léman, que faire lorsqu'on ne peut pas sortir ?
Percy Shelley, Mary Shelley Lord Byron
« on compta 130 jours de pluie entre avril et septembre » Le froid était exceptionnel. Cet été sombre a certainement contribué à l'écriture d'un célèbre roman. Mary Shelley « écrirait ainsi sa propre histoire d’horreur évoquant un sinistre monstre qui reçoit accidentellement la vie pendant une tempête » Frankenstein était né.
La peinture est, elle aussi, impactée par ces changements
On dit que les couleurs rouge orangé du ciel dans ces années là sont celles qui ont inspiré JMW Turner
Les ciels de l'époque inspirèrent aussi John Constable
La baie de Weymouth à l'approche de l'orage
John Constable - Musée du Louvre
« En Grande-Bretagne, un pic extrême de vents venus de l’ouest soufflant en tempête et accompagnés de pelotons de nuages de pluie venus de l’Atlantique déferla mois après mois – une armée aérienne grise qui apporta la misère aux paysans de Grande-Bretagne comme dans l’ouest du continent. Dans une peinture de Constable datant d’octobre 1816, la baie de Weymouth – une jolie crique abritée sur la côte sud de l’Angleterre où l’artiste passait sa lune de miel – baigne dans une pâle lumière sous un ciel tourmenté gris-noir »
Un livre passionnant, un rien effrayant quand même, ce n'est que vers les années 90 que les conséquences d'une éruption se firent jour grâce au progrès de la climatologie.
Pourtant un homme avait fait le lien entre éruption et changement climatique « en juin 1783 l'éruption du Laki, un volcan islandais provoqua un refroidissement brutal, des récoltes catastrophiques et, l’année suivante, la misère en Europe ; il fut aussi à l’origine de la formation de glaces menaçant la navigation transatlantique » cet homme c'était Benjamin Franklin, un visionnaire.
Vous avez dit réchauffement climatique ?
Le livre : L’année sans été - Gillen d’Arcy Wood - Traduit par Philippe Pignarre - Editions La Découverte