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Rechercher : la petite lumière

  • Le Refuge - Terry Tempest Williams

     Emotions et sentiments 

     

    Douleur et beauté de la vie car « Tout ce que nous avons, c’est l’instant présent »

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      Bruant des neiges

    Les oiseaux ont « le pouvoir de dénouer les fils de mon chagrin. »

     

    J'ai choisi ce livre d’abord pour les oiseaux. L’auteur est une femme passionnée d’ornithologie qui passe ses journées à observer, cataloguer, photographier, surveiller les oiseaux d’une réserve d’un des lacs les plus extraordinaire de la planète : le Grand Lac salé

     

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                                                              Le Grand Lac salé 
     

    « Marcher le long de la ligne d’algues du Grand Lac salé après une tempête n’a rien à voir avec une promenade au bord de la mer. Il n’y a pas de coquillages, pas de varech qui craque sous les pas, ni de crabes. Ce qui reste c’est une histoire délavée de plumes, d’os, d’oiseaux encroûtés de sel. »

     

    Elle scrute jour après jour le niveau du lac car le bel équilibre de la réserve menace d’être à jamais détruit par la montée des eaux. Les oiseaux risquent de fuir ou de disparaître faute de trouver de quoi se nourrir et de se reproduire.Si leur habitat est détruit, ils vont être les victimes de cette montée des eaux.

    nous sommes dans l’Utah en 1983.

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                                                            Une avocette 

     

    Terry Tempest Williams tient une sorte de journal ornithologique et météorologique. Elle nous fait admirer toutes les espèces qui peuplent la réserve, pluviers, avocette, courlis, bruants des neiges, phalarope de Wilson, fuligule à tête rouge.

    Au fil des chapitres qui porte chacun le nom d’une espèce, et dans le même temps elle annonce la hauteur des eaux, leur montée inéluctable.

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                      Refuge de Bear River © By Steve Shames

     

    Son travail et les oiseaux l’aide à  apaiser son inquiétude « C’est peut-être l’étendue du ciel en haut et l’étendue d’eau en bas qui apaisent mon âme. » car la vie professionnelle ne nous définit pas entièrement et Terry Tempest Williams qui lutte pour la survie d’un écosystème, se bat aussi aux côtés de sa mère atteinte pour la seconde fois d’un cancer. 

    La mère de Terry est le neuvième membre de la famille à être atteint, les essais nucléaires du Nevada qui ont été poursuivis jusqu’en 1992 font des dégâts longtemps après leur arrêt. 

    Diane est atteinte d’un cancer des ovaires, elle se bat depuis 15 ans contre une maladie apportée par le vent qui souffle au dessus des déserts. 

    La famille appartient à la communauté mormonne, attachée aux valeurs et traditions familiales sans être corsetée par elles. 

    Les rapports mère fille sont chaleureux même si l’une défend la gente ailée alors que l’autre la déteste ! La mère de Terry fut traumatisée par Tippi Hedren et le méchant Alfred. 

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      Un lieu en danger 

     

    Ce double combat est douloureux, difficile, la scientifique comme la fille, se sentent pleines de rage. Militante énergique et en colère car dit-elle en cent ans « La Californie a perdu 95 % de ses marécages. L’Utah vient d’en perdre 80 % en deux ans. »  

    Elle suit la progression de la maladie chez sa mère, sans pour autant renoncer aux petits plaisirs du quotidien, ceux qui aident au combat pour la vie et donne à ce récit une lumineuse beauté. 

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    Un bon et beau récit, plein de douleur, d’amour, de compassion mais aussi d’impuissance devant la colère de la nature, devant la maladie. Un livre plein de larmes qui peuvent être un soulagement à une condition dit la grand-mère de Terry « Seulement quand on sait que ces larmes ont une fin » 

    Un livre à double entrée, un auteur qui est un guide que l’on a envie de suivre sur les chemins de Bear River. N’oubliez pas vos jumelles 

     

    L'avis de Wallace Stegner  

    Ce qui est extraordinaire dans Refuge, c’est que Terry Tempest Williams est trop pleine de vitalité elle-même, trop fascinée par toutes les manifestations de la vie pour écrire un livre sombre. Il n’est pas une page dans Refuge qui ne bruisse de battements d’ailes

     

    Le livre : Refuge - Terry Tempest Williams - Editions Gallmeister -2012

     

    L'auteurTerry Tempest Williams est née en 1955 dans le Nevada et a grandi dans l’Utah. Naturaliste et activiste engagée dans la défense des

    TerryTempest_418w.jpgdroits des femmes, son combat pour la préservation de l’environnement l’amène à témoigner devant le Congrès à plusieurs reprises. Elle y dénonce les effets des essais nucléaires réalisés dans le désert du Nevada et qui sont alors minorés par le gouvernement. Auteur de nombreux récits, essais et poèmes, elle est aujourd’hui une voix incontournable de l’Ouest américain.(source l'éditeur)

     

     

  • Citrons acides - Lawrence Durrell

    Les Amoureux de la Grèce : Lawrence Durrell

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     www.martin-liebermann.de

    "Les ruines du monastère de Bellapaix comptaient parmi les vestiges gothiques les plus remarquables du Levant "

     

    C’est une année anniversaire pour Lawrence Durrell né en 1912. Ce diplomate romancier m’a toujours plu, découvert en lien avec la lecture d’Henry Miller avec qui il fut ami, c’est son amour pour la Grèce, Chypre et Alexandrie qui fait de lui l’écrivain de la Méditerranée, des îles, du soleil. 

    Occupant des emplois variés, attaché de presse à Athènes, employé par le Foreign Office, les années cinquante le trouve à Chypre, il tirera de son séjour Citrons Acides  

     

    Un peu d’histoire pour comprendre 

    Chypre après beaucoup d’autres envahisseurs, était « occupée » par les anglais depuis 1878 ! 

    Le Royaume-Uni avait promis le rattachement de Chypre à la Grèce si celle-ci combattait aux côtés des alliés lors de la Première Guerre, les grecs refusent et en 1953 Chypre est toujours sous domination britannique.

    Un mouvement nationaliste naît et l’île sera après des mois de tergiversations des anglais, plongée dans le chaos et la violence.

    Au lieu du rattachement prévu à la Grèce, c’est l’indépendance qui sera proclamée en 1960 avec un très fragile équilibre entre les communautés turques et grecques, puis la partition et pour finir l’entrée dans la Communauté Européenne.

    Citrons acides est donc un livre présentant deux facettes de Chypre, une ensoleillée et idyllique et une seconde plus sombre et entâchée par la violence.

     

    Commençons par le versant ensoleillé. 

    Lawrence Durrell à son arrivée à Chypre cherche à se loger, il fait très vite connaissance avec l’instituteur, l’épicier, les pêcheurs avec qui il passe nombre de soirée, vidant des gobelets de vin parfumé.

    Il a l’intention d’accueillir sa famille et ses amis et il se met en quête d’une maison à un prix raisonnable et pas trop loin de Nicosie où il doit travailler comme prof d’anglais.

    Et le bonheur du lecteur commence, cette chronique au quotidien de la vie de l'île, la magnificence de la nature, la beauté des paysages millénaires, la chaleur amicale des habitants, tout est superbe.

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    « Dehors, le soleil de printemps brillait sur les arbres gonflés de mandarines ; un petit vent frais chargé du parfum des neiges du Taurus agitait doucement la cime des palmiers »

     

    Je vous laisse la joie de la découverte des tractations immobilières avec un turc madré et une propriétaire qui se cabre, à elles seules elles valent la lecture de ce livre. 

    Durrell choisit de vivre dans le village de Bellapais par lui baptisé dans le livre Bellapaix pour exorciser la violence.

    « L’atmosphère du village était absolument ensorcelante (...) Partout des roses, et les pâles nuages de fleurs d’amandier et de pêcher »

    La visite de la maison lui ôte toute raison :

     

     

    « Le jardin avait quelques mètres carrés, mais il était planté d’arbres (...) six mandariniers, quatre citronniers, deux grenadiers, deux mûriers et un grand noyer au tronc penché  »

    La période des travaux venue gare à celui qui s’assoit sous l’arbre de la paresse

    « Ce fut bientôt la lente procession des mules montant leurs charges de briques et de sacs de ciment par les ruelles tortueuses du village »

     

    Enfin la maison est prête à recevoir son frère, l’étonnant naturaliste Gerald Durrell qu’il a tenté de faire mourir à la bataille des Thermopyles (je vous laisse le plaisir de l’anecdote savoureuse) mais qu’il sait ressusciter fort à propos

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    les amis :  Freya Stark et surtout Paddy le magnifique.

    « Le voilà un bras sur l’épaule de Michaelis qui lui a indiqué le chemin » Patrick Leigh Fermor connaisseur hors pair des chants grecs envoûtants qu'il entonne pour la joie de tout le village

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    Patrick Leigh Fermor © Ulf Andersen/Getty Images

     

     « Je vois qu’un attroupement s’est formé devant la maison, ils sont quinze ou vingt qui écoutent dans la nuit et dans le plus parfait silence »

     

    Je ne sais pas ce qui l’emporte du comique des situations, de l’évocation des lieux chargés d’histoire, de la description des paysages qui vibrent sous le soleil ou des personnages si hauts en couleur.

     

    Si l’on vient au versant sombre, sès son arrivée il est frappé par les inscriptions « Enosis seulement » et assez vite les habitants lui confient « Nous ne voulons pas chasser les Anglais, nous voulons qu’ils restent mais en amis et non en maîtres »

     

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    Les troupes anglaises à Chypre en 1958

     

    Lawrence Durrell n’approuve pas la violence et ne se range pas aux côtés des Chypriotes mais condamne les tergiversations anglaises qui ne font qu’attiser la situation. Un lent processus de rancune et d’exaspération dit-il qui finira par lui faire quitter Chypre. 

     

    Une belle façon de faire connaissance avec cet écrivain.

     

    Pour connaitre mieux Chypre rendez vous chez Miriam 

     

     

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     Le livre : Citrons Acides - Lawrence Durrell - Editions Buchet Chastel  1994 ou  Phébus libretto 2012

  • En la forêt de longue attente - Hella Haasse

    En remontant les siècles : an 1394...

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    Après un concile vengeur, une reine au pied trop grand, voici le prince poète.
    Comme pour la troisième fois je vous embarque dans un roman historique il est juste que je vous donne un coup de pouce. Je vais jouer le Petit Mourre

    La méchante Isabeau de Bavière qui livre la France aux anglais, les Armagnacs et les Bourguigons, Azincourt et Henry V et bien entendu la Pucelle d’Orléans...Vous y êtes ? mais si ...cent ans...la fameuse guerre ....Ah je vois votre oeil s’éclairer, suivez moi.

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                                             Isabeau entrant dans Paris parJean Fouquet

    1394 le XV ème siècle va s’ouvrir. c’est la date de naissance de Charles d’Orléans prince des poètes et roi de la mélancolie. Vous me direz que vient-il faire ici ? Et bien sa vie est totalement liée à cette fameuse guerre de cent ans.

    Par son père d’abord Louis d’Orléans, poète lui même, grand séducteur devant l’éternel et soucieux du bon état du royaume de France qui est hélas aux mains de son frère Charles VI atteint de démence, c’est de fait sa femme qui gouverne la fameuse Isabeau dont Louis fera sa maîtresse pour le bien du royaume bien entendu.

    Vous l’avez compris ce n’est pas l’enfance de tout le monde. Heureusement pour Charles d’Orléans sa mère Valentine Visconti, l’aime et le soutient, avec elle il explore le monde de la musique, des livres et des poètes.

    Cette mère toute d’amour est pourtant accusée de vouloir la mort du roi et est donc renvoyée sur ses terres loin de la cour. Lorsqu’elle meurt Charles a douze ans et le voilà propulsé à la tête de la famille d’Orléans.

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    Il partage ses jeux avec son demi frère Dunois, un rien bâtard mais promis à un bel avenir comme compagnon d’armes de Jeanne d’Arc !
    On lui trouve une épouse, elle a déjà un long parcours puisque mariée au roi d’Angleterre, Isabelle est aujourd’hui une toute jeune veuve et mourra très jeune en donnant à Charles une fille.


    Une époque difficile toute de combats perdus, de serments non tenus, de traîtrise. Les temps où la noblesse française ne luttait pas pour le bien du royaume mais pour augmenter ses possessions, enrichir ses domaines !
    Que peut faire dans ce milieu un jeune homme épris de poésie, de douceur et de calme ? Qui rêve de troubadours et de trouvères et qui doit prendre les armes contre son gré ?
    Il erre dans cette « Forêt de longue attente » qu’en son temps son père déjà avait arpentée. Un lieu imaginaire qui le tient à l’abri de la violence, des guerres civiles et de la mort.
    Mais l’histoire le rattrape et lors de la bataille d’Azincourt il est fait prisonnier. Prisonnier il le restera 25 ans ! otage attendant le paiement d’un rançon que personne n’est pressé de payer.

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    Henry V à Azincourt (Lawrence Olivier)

    Pendant toutes ces années la poésie sera sa fidèle compagne. « En regardant vers le pays de France »  une poésie qui porte le souvenir de ce prince jusqu’à aujourd’hui, une oeuvre véritable née dans les geôles anglaises.

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    La tour de Londres - British Muséum

    Si vous voulez cheminer aux côtés de ce prince poète suivez Hella Haasse, elle restitue à merveille la dureté de l’époque. Elle retrace avec un talent fou la vie de ce prince né à Amboise et mort à Blois qui dut se dépouiller de tous ses biens pour retrouver la liberté.
    Qui fut toujours du côté des plus humbles, qui croisa François Villon et ses « frères humains » et qui arpente encore cette forêt de longue attente.

    Un grand roman historique, magnifiquement écrit et traduit, un roman riche et ample qui prendra place dans votre bibliothèque.

    L'avis de ClaudiaLucia et son billet où vous trouverez une galerie de portraits

    Le livre :  En la forêt de longue attente - Hella S. Haasse - Traduit du néerlandais par Anne Marie de Both -Diez -  Editions du Seuil 1991 ou Points Seuil
    Les poèmes de Charles d’Orléans Gallimard Poésie


    Quelques poèmes de Charles d’Orléans

    En la forêt de Longue Attente
    Chevauchant par divers sentiers
    M'en vais, cette année présente,
    Au voyage de Desiriers.
    Devant sont allés mes fourriers
    Pour appareiller mon logis
    En la cité de Destinée ;
    Et pour mon coeur et moi ont pris
    L'hôtellerie de Pensée.

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    Les très riches heures du Duc de Berry



        Le temps a laissé son manteau
        De vent, de froidure et de pluie
        Et s'est vêtu de broderie,
        De soleil luisant, clair et beau.

        Il n'y a bête ni oiseau,
        Qu'en son jargon ne chante ou crie:
        "Le temps a laissé son manteau!"
        De vent, de froidure et de pluie

        Rivière, fontaine et ruisseau
        Portent en livrée jolie,
        Gouttes d'argent, d'orfèvrerie,
        Chacun s'habille de nouveau
        Le temps a laissé son manteau.

  • Naguère en Palestine - Raja Shehadeh

    naguèreenpalestine.gifNaguère en Palestine - Raja Shehadeh - Traduit de l’anglais par Emilie Lacape - Editions Galaade
    Je ne pense pas être une exception si je vous dis que le conflit Israélo-palestinien tient pour moi à la fois de l’incompréhensible et de l’inacceptable.
    Je me rends compte que je me fais une opinion à travers la presse écrite ou radio mais que j’ai très peu lu de livres sur le sujet,  en réfléchissant je n’ai pas lu du tout sur le sujet. Voila pourquoi j’ai acheté ce livre.

    L’auteur nous invite à faire avec lui sept promenades, sept balades dans les collines autour de Ramallah, Naplouse, Jéricho. « Quand je commençai à parcourir les collines, il y a un quart de siècle, je n’étais pas conscient de me promener dans un paysage en voie de disparition » C’est une terre millénaire que Raja Shehadeh parcourt au gré des saisons « La Palestine a toujours été l’un des pays les plus visités par les pélerins et les voyageurs » Ces paroles font aussitôt écho chez moi qui viens de lire Lamartine et ses très belles pages sur cette terre biblique.
    Suivons le dans ce qu’il appelle sept « Sarha » le mot qu’il utilise pour dire ses vagabondages « Un homme qui part en sarha se promène sans but, sans restriction de temps ni de lieu ; il va où son esprit le guide pour nourrir son âme et se ressourcer »

     

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    Ramallah - Image du blog de JL Kuffer

    De collines en vallées il nous découvre une terre rocailleuse, sèche, traversée de murets de pierres pour retenir la terre et permettre les cultures. Terre parsemée de vieilles habitations où il aime se reposer qui porte des noms comme « Ain Al-Lawza source de l’amande » et qui prend une toute autre allure après la pluie « Les fleurs sauvages poussaient en abondance le long du chemin. La plupart étaient minuscules : des iris bleus de quelques centimètres de haut, des fleurs de lin rose tout aussi proches du sol, quelques orchidées pyramidales (...) la terre était comme tapissée de fines broderies colorées »
    Il évoque sa famille et en particulier son grand-père qui a cultivé ici ses vignes, son verger et s'est même fabriqué un fauteuil quasiment royal.
    Nous ne pourrons partager la beauté de ses promenades qu’à la condition de partager aussi son extrême tristesse devant la perte progressive de sa terre.

    A coup d’expropriations, de tracés de routes, d’occupation militaire de certaines zones, de création de colonies de plus en plus nombreuses et de plus en plus étendues, le gouvernement israélien au mépris de ses propres lois a réduit l’espace de vie des palestiniens. L’utilisation abusive de la notion d’occupation des terres par les tribunaux entraînent la spoliation massive de propriétaires palestiniens.
    Son témoignage de juriste est sans appel et lui qui a courageusement créé une association de défense des droits de l’homme et a oeuvré pendant des années pour défendre ses concitoyens contre l’arbitraire, est aujourd’hui très pessimiste. Sa dernière promenade où il est « agressé » par de jeunes palestiniens armés et menaçants met un terme à l’espoir de voir enfin la paix régné sur ses collines « Debout sur les ruines de l’un de mes endroits préférés, près de là où je suis né et où j’ai toujours vécu, je sentis que les collines ne m’appartenaient plus. Je ne suis plus libre de venir m’y promener. Elles sont devenues dangereuses et je ne m’y sens plus en sécurité »

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    J’ai pris conscience grâce à ce livre du rétrécissement systématique des terres palestiniennes, de l’interdiction des déplacements choisis remplacés par des déplacements contraints, de l’arrachement à la terre par des expropriations iniques  et parfois violentes.
    Ce livre exprime tout cela avec une telle douleur dans les mots, une telle sensibilité qu’il fait plus pour notre compréhension que tous les reportages et que toutes les chroniques politiques.


    Raja_Shehadeh.pngL’auteur
    Raja Shehadeh est avocat et écrivain, il vit à Ramallah et à reçu pour ce livre le Prix Orwell 2008
    Le prix Orwell est un prix littéraire anglophone récompensant les œuvres rapprochant la politique du grand public, en littérature et en journalisme. Son nom est un hommage à l'écrivain et journaliste George Orwell (source Wikipédia)

    Petit additif

    Alors que je terminais ce livre et ce billet la chronique de Pierre Assouline est consacrée à la mort de Tony Judt qui s'est engagé en faveur d'un état binational avec des droits identiques pour les Israéliens et les Palestiniens. Je retiens cette phrase de lui que je fais mienne  " Les Juifs sont rendus muets par l’exigence qui leur est faite de soutenir Israël, les non-Juifs le sont tout autant par la crainte de passer pour antisémites, c’est pourquoi il n’y aucun dialogue sur le sujet " et je vous invite à aller lire l'article que Tony Judt a signé dans le Monde diplomatique (Juin 2008)

     

     

  • Lincoln - Gore Vidal

    Un grand saut par dessus l’Atlantique, après le Pays de Galles je vous propose l’Amérique de Scarlett O’Hara ....

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    Non pas de crainte je ne vous fais pas le coup d’Autant en emporte le vent, je vous propose le portrait en pied de l’homme dont l’effigie est connue de tous et je vous emporte au temps de la Case de l’Oncle Tom, au temps de l’esclavage, au temps de la guerre de Sécession.

    D’abord vérifions :
    Je parie que comme moi vous ignorez que Lincoln fut élu pour le parti républicain, ben oui, moi je le voyais forcément démocrate ...et bien non.
    Je parie que comme moi vous êtes certain que Lincoln était pour l’abolition de l’ esclavage , et bien non pas du tout,  ouh je vous vois sursauter derrière votre écran...
    Je parie que comme moi vous ignorez que si la guerre de Sécession a duré aussi longtemps alors que le Sud n’avait ni industrie, ni chantiers navals c’est parce que ...les généraux nordistes étaient (au début de la guerre) des incapables.

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    Pour lutter contre ce catalogue d’idées reçues j'espère vous convaincre de lire le roman de Gore Vidal avec des yeux innocents et un esprit ouvert.

    1861 Abraham Lincoln vient d’être élu président, premier président républicain pour un tout jeune parti qui n’a guère que 7 ans.
    Comme souvent aux Etats-Unis le nouveau Président est ...minoritaire, il va donc devoir ferrailler avec les sénateurs et le Congrès.
    Lincoln pendant sa campagne a milité non pour une abolition de l’esclavage ( j’entends sa statue qui se brise) mais pour une interdiction de celui-ci dans les états du nord.
    Avant même que Lincoln prête serment, les sudistes par la voix de  Jefferson Davis, font sécession, et les états du sud rejoignent un par un la Confédération. Il n’y a plus d’Etats-Unis mais deux ennemis face à face.
    Lincoln est dans une position plus que fâcheuse, il est face à une rébellion, les escarmouches se multiplient, et commence la seule guerre qui se déroulera sur le territoire américain.

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    Voilà le décor planté, Gore Vidal dans ce roman biographique va nous permettre de suivre Lincoln pendant 4 ans. Ballotté, malmené par les intrigues des politiciens qui l’entourent, aux prises avec la course au pouvoir que mène ses amis, Abraham Lincoln va tenir bon.
    Son plus grand souci n’est pas l’esclavage, le devenir des esclaves, non son souci constant c’est rétablir la cohésion de son pays.
    Il va pour cela enfreindre des règles juridiques, économiques, supprimé l’Habeas Corpus (vous avez dit démocrate ???) battre monnaie pour acheter armes, munitions et payer les militaires.
    Voilà pour la vie publique mais c’est faire peu de cas de sa vie privée, une femme Mary dont la moitié de la famille est sudiste, qui a l’art de faire des dettes, de se lancer dans des travaux dispendieux pour donner un peu lustre à la Maison Blanche,  sans compter que Washington « capitale naturelle du sud » à plusieurs reprises est menacée par les troupes confédérées la Virginie ayant basculée côté sud.

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    Mary Lincoln


    Les personnages secondaires sont magnifiques de vérité, de complexité. Je vous recommande Kate Chase une féministe au sens politique aigu, son père Salmon P Chase, secrétaire d’Etat au Trésor qui fait passer son ambition avant sa loyauté envers Lincoln, William Seward persuadé d’être capable de mener Lincoln à la baguette et « d’enlever l’exécutif à ce Président » ce qui va se révéler une grossière erreur.
    Quant aux généraux, chefs d’armée et autres militaires là on est parfois secoué par le rire devant tant d’incompétence et on ne peut que se dire que Dieu était avec les nordistes !

    Ce roman historique est passionnant, on y découvre un Lincoln inconnu, malmené, en proie au doute, retors, parfois manipulateur et qui tient des propos surprenant  « Mon objectif suprême est de sauver l’Union et non de sauvegarder ou détruire l’esclavage. Si je pouvais sauvegarder l’Union sans libérer un seul esclave, je le ferais ; si je pouvais la sauvegarder en libérant tous les esclaves, je le ferais. Et si je pouvais le faire en libérant quelques-uns et en laissant de côté d’autres, je le ferais aussi. »

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    Crédit photo ©Bettmann CORBIS

    5 années, une réélection et quelques 600.000 morts plus tard Abraham est assassiné.

    Une destinée extraordinaire, un roman à la hauteur de cette destinée.
    Gore Vidal est habile, nous ne parcourons pas les champs de bataille, non il nous fait rester au plus près du personnage, il nous permet presque de comploter avec lui. La vie à la Maison Blanche, les bagarres, les guerres d’influence, la peur, les complots, les colères devant l’impéritie des militaires, tout est magistralement raconté de l’intérieur.
    Peu à peu Lincoln se débarrasse de ses oripeaux de petit avocat de province pour prendre une stature présidentielle et se couler dans son rôle et être fidèle à sa légende.

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    Si vous aimez l’histoire, si la guerre de Sécession vous intéresse alors ce pavé de 900 pages en papier bible et couverture souple pour faciliter une lecture de vacances, est fait pour vous.

    Le livre : Lincoln - Gore Vidal - Traduit par Gérard Joulié - Galaade Editions -
     



  • Voyages dans le Reich - Oliver Lubrich

    Taire ou dénoncer dans le Berlin des années trente 

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    Ils sont nombreux les écrivains, journalistes, intellectuels qui ont fait le voyage en Allemagne après l’accession au pouvoir d’Hitler ou pendant la guerre, entre 1933 et 1945.
    Qu’ont-ils vu ? quelles ont-été leurs réactions ? Etaient-ils des sympathisants, au contraire ont-ils fait savoir ce qu'ils voyaient,  ont-ils alerté ?  Certains furent horrifiés mais d’autres fascinés.

    Le livre se compose d’un grand nombres d’écrits, de longueur très variable, rassemblés par Oliver Lubrich qui enseigne la littérature à Berlin.

    L’intérêt de cette anthologie c’est la variété, la diversité des visiteurs, certains très connus, d’autres moins, Belges ou Suisses, Anglais ou Américains, ils sont en Allemagne pour des raisons diverses qui vont du travail pour William Shirer, à un voyage d’agrément pour Virginia Woolf.  Ecrivains, diplomates, journalistes, scientifique ou simple voyageur.

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     Incendie du Reichstag Berlin 27 février 1933

    Christopher Isherwood qui choisit lui de quitter Berlin en 1933 : 
    «Tous les soirs, je vais m'installer dans un grand café d'artistes à moitié vide, près de l'église du Souvenir. Des juifs et des intellectuels de gauche y rapprochent leurs têtes au-dessus des tables de marbre, s'entretenant à voix basse, angoissée. Beaucoup d'entre eux s'attendent à être arrêtés, aujourd'hui, demain ou la semaine prochaine.» et il ajoute que presque tous les soirs des SA investissent le café pour quêter, chacun étant obligé de contribuer.

    Georges Simenon en Allemagne au moment de l’incendie du Reichstag et de la terreur en Allemagne
    « Des envoyés spéciaux écrivaient sans rire Il est impossible que le parti de la violence l’emporte
    Il ne faut pas leur en vouloir, c’était la première fois qu’ils mettaient les pieds en Allemagne et ces milliers de chemises brunes, ces autos avec des mitrailleuses, les impressionnaient vraiment. »
    « Le Führer était bien tranquille au milieu de son état-major, au Kaiserhof, je l’ai rencontré dans l’ascenseur. »
    « Au Kaiserhof, à Berlin , personne n’était ému, ni inquiet, ni étonné »

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     1933 Défilé des SA sous la porte de Brandebourg

    Virginia Woolf
    Au passage de la douane elle dit « Nous nous montrons obséquieux (...) première courbette de notre part. »
    « Des gens se rassemblaient au soleil...plutôt sur commande, comme pour le sport à l’école. Bannières tendues dans les hauteurs en travers de la rue   “le juif est notre ennemi“  “Il n’y a pas de place pour les juifs“  Nous avons donc filé à toute vitesse, jusqu’à ce que nous soyons hors de portée de la foule docile dans son hystérie. »

    Denis de Rougemont  en mars 1936 évoque la fascination de la foule lors des meetings et tente d'expliquer.
      «Un coup de projecteur fait apparaître sur le seuil un petit homme en brun, tête nue, au sourire extatique. Quarante mille hommes, quarante mille bras se sont levés d'un coup. L'homme s'avance très lentement, saluant d'un geste lent, épiscopal, dans un tonnerre assourdissant de Heil rythmés.»
    « Cela ne peut se comprendre que par une sorte particulière de frisson et de battement de coeur — cependant que l’esprit demeure lucide. Ce que j’éprouve maintenant, c’est cela qu’on doit appeler  “l’horreur sacrée“. Je me croyais à un meeting de masses, à quelques manifestations politiques. Mais c’est leur culte qu’ils célèbrent. »

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     La montée de la terreur

    Le Français Jacques Chardonne est invité à Weimar par  Goebbels en 1941 en compagnie de Ramon Fernandez, Marcel Jouhandeau et  Drieu La Rochelle. Chez lui c'est l'admiration envers le régime nazi qui l'emporte.
    « Voici des notables d’une sorte nouvelle (...) L’impression qu’ils me donnèrent immédiatement et qui n’a pas changé, je la traduirai par le mot élégance, et j’en ai trouvé plus tard la raison : ces hommes vivent au plus haut d’eux-mêmes. Cette transfiguration c’est le national-socialisme. »

    Des textes également d’ Albert Camus, Samuel Beckett, Karen Blixen et Jean Genet

    Les témoignages portent parfois sur la vie quotidienne et parfois sur les grands-messes du nazisme, sur l’ambiance dans les rues, la propagande du régime, les milieux artistiques. On y entend la colère, l’indignation, la surprise, mais parfois aussi une certaine sympathie voire de la fascination.

    A travers ces textes c’est l’Allemagne qui se dessine dans les premiers temps du nazisme puis dans les débuts de la guerre, on y voit  la vie dans le Reich, l’emprise du parti nazi sur la population, l’ enthousiasme parfois délirant de la foule, la peur et la terreur pour certains.
    J’ai apprécié que pour chaque texte soit donné un éclairage sur les circonstances d’écriture. Une courte biographie de chaque témoin se trouve en fin de volume.

    Si vous êtes curieux, intéressé par cette période, ce livre devrait vous passionner.

    Le livre : Voyages dans le Reich - Oliver Lubrich - Actes Sud 2008