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Rechercher : la petite lumière

  • Un livre cathédrale : Les très riches heures du Duc de Berry

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    Je suppose que comme moi vous avez en peinture des œuvres un peu fétiches. Peu importe le genre ces œuvres vous ont plu immédiatement et sont donc restées dans vos mémoires.

    Pour moi il y a Les Riches heures du Duc de Berry. Je me souviens encore du moment où j’ai feuilleté un livre dans la boutique du Musée du Louvre, livre aujourd’hui indisponible. J’étais restée devant pendant plus d’une heure, le prix à l’époque m’avait fait reculer évidemment.

    Aujourd’hui j’ai mis dans ma bibliothèque un petit livre accessible par tous sur cette œuvre.

    Le Musée Condé de Chantilly présente l’œuvre pour plusieurs semaines.
    Ce livre de prières tout enluminé a été réalisé par les frères Limbourg et les artistes de leur atelier. Si vous avez la chance d’aller voir cette exposition je vous envie.

    Aujourd’hui vous pouvez admirer les pages les plus belles de ce manuscrit et le découvrir en compagnie d’Alberto Manguel.
    Manguel vous le connaissez et sa plume est parfaite pour vous parler de cette œuvre que l’on appelle « La Joconde des manuscrits »

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    La Chute des anges

    Ce livre d’heures est fait en particulier des douze enluminures pour les douze mois de l’année. Les pages les plus célèbres de ce « Livre cathédrale ».
    Manguel consacre un chapitre à chaque mois et croyez-moi on ne se lasse pas une seule minute.

    Pour chaque mois les détails abondent qui vous permettent de fureter dans le tableau en comprenant bien ce que vous voyez, ce qui se cache derrière un animal, un personnage.

    Les dessins sont magnifiques de finesse, les couleurs sont magiques, beaucoup de bleu, pigment qui à l’époque était très couteux et très rare.

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    Lapis Lazuli

    La fascination éprouvée tient beaucoup je crois à la finesse et aux couleurs magnifiques des pages.
    Quelle est la place des personnages, des animaux et des plantes, et que sont ces châteaux aperçus dans le lointain On est aussitôt pris par ces images d’un calendrier qui met en avant les paysans et leurs travaux, les nobles et leurs châteaux

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    Vaisselle d’or, banquet de riches, dans le bas du tableau le lévrier qui évoque la Divine Comédie de Dante, le château est peut-être celui de Bourges.
    « Loin derrière la table, une tapisserie imposante représente des scènes de la guerre de Troie. »

     

    Février

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    Manguel nous dit qu’il y a là un appel à François Villon « Frères humains qui après nous vivez »
    « bien que la charité ne soit pas le fruit de l’hiver lui-même, elle apparaît dans l’âme comme un miroir inversé de la saison : plus le cœur de l’hiver est froid plus le cœur du bon chrétien doit être chaud. »

     

    Avril

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    « Floraison et renaissance. Avril est la saison des fiançailles. »
    Le tableau fait aussi penser aux poèmes de Christine de Pizan.
    « Dans la société française du XVème siècle, cueillir des fleurs n’est pas pour une femme un passe-temps oisif ; c’est la preuve d’un esprit curieux ouvert à l’art et au métier de la poésie. »

     

    Juin

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    « Les couleurs estivales se déclinent progressivement du vert à l’or, de l’or au blanc crayeux, du blanc au bleu clair et à l’azur profond. »
    En arrière-plan Paris et la cité, les toits de la Sainte Chapelle

     

    Septembre

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    En arrière-plan le château de Saumur.
    « Nous sommes à la fois dans un monde féérique et dans celui bien réel, où la menace de guerre et le changement des saisons sont constants. »

     

    Sur le site du Musée de Chantilly allez feuilleter ce livre magnifique
    https://les-tres-riches-heures.chateaudechantilly.fr/

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    Le Livre : Les très riches heures du duc de Berry – Alberto Manguel – Éditions Invenit

  • Mon Temps mon fauve - Ralph Dutli

    Le Mendiant magnifique

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    Ossip Mandelstam fut un mythe en Russie et dans le monde malgré la censure attachée à son nom et à sa poésie,  mais on ne peut le réduire à son mythe ou à sa fin tragique au Goulag. 

    Ralph Dutli connait l'oeuvre du poète sur le bout des doigts, des premiers poèmes à ceux écrits en exil à Vorojnev, des poèmes les plus connus à ceux en forme de farce sur les tramways ou les crèmes glacées.

    Les éditions Le Bruit du temps ont réalisé avec ce livre une ode magnifique au poète sous l'égide duquel elles se sont placées. 

    Si vous aimez la poésie, la Russie, et plus largement la liberté des mots je vous propose d'entrer avec moi dans cette oeuvre.

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    Mandelstam par Petr Miturich

     

    La biographie évoque la naissance dans une famille juive aisée et très assimilée, on retrouve ce temps dans son récit Le Bruit du temps.

     Toute sa vie la culture juive le marquera même si il est souvent en conflit avec elle et qu'il flirtera avec le christianisme.

    Ses études sont chaotiques, le numérus clausus envers les juifs lui interdit les portes de l'université, il lui faudra choisir l'étranger pour terminer sa formation. Paris, Heidelberg, l'Italie. 

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    Le poète en 1909

    Les oeuvres des auteurs antiques l'inspireront tout au long de sa vie, pied de nez aux examinateurs qui le firent échouer à l'épreuve de littérature latine !

    Ses premiers poèmes paraissent en 1910, très vite il fait une rencontre importante : Anna Akhmatova, mariée au poète Nikolaï Goumiliov, elle « restera jusqu'à la fin une confidente et une interlocutrice privilégiée. »Mandelstam adhère au noyau de poètes qui fondent le mouvement acméisme prenant l'adhésion à « L'ici et maintenant »

     

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    Mandelstam et Anna Akhmatova

    S'ouvrent des années de création, de ferveur « Mandelstam supprime les frontières, fait surgir des époques et des espaces, multiplie les mondes. »

    Mais la Révolution qu'il soutient dans ses débuts va petit à petit le plonger dans les difficultés, l'errance, le nomadisme, la pauvreté et la misère 

    Lorsque les modérés sont chassés par les Bolcheviques il écrit un poème pour dire sa colère de voir « Un joug de violence et de haine » s'abattre sur le pays.
    Sa poésie est novatrice, visionnaire, il se veut citoyen du monde « Son seul credo est la poésie  » 

    Il ne perd jamais courage malgré toutes les vicissitudes de l'existence   « Exister - Voilà la plus haute ambition de l'artiste. Il ne veut pas d'autre paradis que celui de l'existence  »  

     

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    Portrait du poète par Lev Aleksandrovitc

    Bientôt le régime va le traquer, il faut dire qu'il a des mots qui frappent juste, la Révolution ?  Une « victoire avec les mains coupées.» 

    Ses errances le porteront souvent en Crimée alors que la guerre y sévit encore dans les années 20 malgré cela « La Crimée restera pour lui, toute sa vie, une terre promise. »

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    L'armée Russe en 1917

    Il est encore temps d'émigrer mais Mandelstam refusera cette solution « Sa foi en la Russie est d'ordre intime. » il n'envisage pas de la quitter, il le dit magnifiquement 

    Russie bâtie sur la pierre et le sang,

    Fais-moi la grâce, fût-ce par la pesanteur, 

    De prendre part à ton ultime châtiment.

    Il a de plus en plus de mal à publier ses poèmes, contraint à changer de lieu de résidence sans arrêt, hébergé par des amis, nourris par ses proches, Moscou, Saint Pétersbourg, la Crimée. Refusant tous les compromis, tous les abaissements, capable d'un courage sans nom.  Ralph Dutli le décrit comme un combattant mais aussi comme un amoureux magnifique.

    C'est un autre versant du poète, Mandelstam et les femmes, Nadejda fut sa compagne tout au long de sa vie mais elle dut composer avec des météores qui passèrent dans la vie du poète.

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    Nadejda Mandelstam

    La plus célèbre fut Marina Tsvetaïeva qui lui offrira neuf de ses poèmes dont certains vers sonnent comme un avertissement au destin du poète

    L'air résonnera toute la nuit de tes cris !

    Ils déchireront tes ailes aux quatre vents !

     En 1921 la mort du mari d'Anna Akhmatova le touche particulière, la condamnation de  Nikolaï Goumiliov sonne le glas des espoirs de Mandelstam et de sa volonté de réconciliation avec le régime. 

    L'arrivée au pouvoir de Staline va renforcer sa mise à l'écart, il vivote de traductions, parvient très difficilement à faire imprimer ses poèmes. 
    On lui fait de mauvais procès, tout est bon pour le marginaliser.
    Nadejda et lui vivent grâce à quelques emplois bien éphémères, ils sont contraints d'accepter l'aide de leurs amis pour simplement survivre.

    Il fait un voyage en Arménie dans les années 30 qui donne lieu à un superbe récit qu'il ne parvient pas à faire imprimer.

    Ils ont vécu d’aides amicales, de mendicité ou d’emplois éphémères souvent humiliants.

    Les poètes même proches du régime le respecte sans le dire trop haut, Essénine, Maïakovski. Pasternak qui l'admire reste prudent mais lui avoue   « J’envie votre liberté » il aurait pu ajouter votre courage ! 

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    Pasternak le prudent

    Déportations, assassinats deviennent le mode de gouvernement, la souffrance et la famine imposée par la Dékoulakisation vont pousser le poète à s'exprimer, d'abord sous le manteau et puis de plus en plus ouvertement jusqu'à la catastrophe.

    En 1934 un poème particulièrement virulent envers Staline va sans doute précipiter les choses, il faut dire que Mandelstam n'a pas fait dans la demi-mesure parlant de Staline comme du « Montagnard du Kremlin » mais aussi de « l’équarisseur des paysans »

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    Arrestation, condamnation, c'est l'exil à Vorojnev. Il a toujours aimé le poète Ovide exilé à Tomes au bord de la mer noire, il se sent proche de lui plus que jamais.

    Contre toute attente il va profité de l'exil pour offrir ses plus beaux poèmes. Il dicte sans relâche à Nadejda qui écrit inlassablement et apprend par coeur tous les poèmes. 

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    Mandelstam à Vorojnev

    Arrêté à nouveau en 1938, condamné aux travaux forcés, Mandelstam meurt au Goulag.  « Ossip Mandelstam n'était qu'une victime de plus parmi les centaines de milliers de morts du goulag stalinien, et son corps fut jeté nu, avec un numéro matricule attaché au pied, dans une fosse » 

    Les derniers chapitres du livre sont consacrés au combat de Nadejda gardienne et mémoire de son oeuvre qu'elle avait appris par coeur pour la protéger et la faire connaitre. Un chapitre est consacré à la réception de l'oeuvre en France, enfin un chapitre est fait des éloges d'autres poètes, Philippe Jaccottet, Paul Celan ou le Prix Nobel Joseph Brodski, ce que Ralph Dutli appelle joliment  le « triomphe de la poésie »

    La biographie est complétée par des photos dont certaines très émouvantes.
    Tous les titres des chapitres sont emprunté à l'oeuvre du poète, comme le titre lui-même.

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    Le Goulag

    Russe jusqu'au bout des ongles, Mandelstam était à la fois un européen, un passionné de culture grecque, un admirateur et amoureux de Dante au point d'apprendre l'italien. Un chantre lyrique et généreux qui a refusé de plier. 
    Un grand amoureux de la vie, des femmes dont il a chanté la beauté, « un gardien des mots »

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    C'est une biographie que j'ai lu deux fois, une première il y a déjà plusieurs mois et dernièrement pour écrire ce billet. L'émotion était présente même à la seconde lecture. On voudrait que la fin soit différente mais l’on est étreint par le bonheur de lire ces vers que Ralf Dutli nous livre généreusement.

    Une biographie que je vais avoir du mal à ranger, doit elle trouver sa place aux côtés d'autres poètes ou plutôt à côté des Récit de la Kolyma de Chalamov, du livre de Julius Margolin, d'un Monde à part d'Herling  ou de l'oeuvre de Soljenitsyne ? 

     

    Le Livre : Mon temps, mon fauve - Ralph Dutli - Traduit par Marion Graf - Editions Le Bruit du temps

  • L'obèle - Martine Mairal

    Une fille d'Alliance

     

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    Je me suis promenée chez Montaigne au début de l'été et voici un billet pour clore ma balade un livre que Rosa m'a soufflé

     

    Marie de Gournay est née quelques années avant que Montaigne ne se retire de la vie publique et n’écrive les premières pages de ses Essais.

    Bien que fille, elle réussit à obtenir de ses parents de faire des études, elle apprend le latin, le grec et les sciences et elle lit autant que faire se peut.

    Dix sept ans est le tournant de sa vie, l’âge auquel elle découvre les écrits de Montaigne

     

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    Le temps de la Saint Barthélémy

    « A dix-sept ans, j'entrais en érudition comme on entre en religion; la religion d'un livre qui les contient tous : les Essais de Michel, Seigneur de Montaigne ».

    Ce livre la comble totalement, il « parlait à mon esprit avec une limpidité et une force jamais éprouvées» dit-elle

     

     

    Aujourd’hui les lecteurs qui veulent rencontrer leur auteur favori se rendent au salon du Livre, à l’époque rien de tel, surtout pour une fille qui est déjà en délicatesse avec sa famille ayant systématiquement refusé tous les partis qu’on veut lui faire épouser. 

    Lorsqu'elle apprend que Montaigne est à Paris pour des raisons politiques, elle lui écrit une missive pour solliciter une entrevue et espère que Montaigne saura l'entendre

     

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                                Le Paris des guerres de religion

     

    «  Si je provisoire échapper, fût-ce une fois dans ma vie,à la mauvaise réputation que me veut ma féminine complexion » lui écrit-elle.

     

    Et le miracle se produit, l'auteur lui rend visite en sa demeure.

    « Au premier regard, il pénétra l'extraordinaire de cette rencontre, sut tout de moi, me saisit d'emblée différente, me décida son égale en esprit sinon en âge ... ».  

    Elle craint d'être déçue « Je tremblais d'angoisse, non de ne point lui plaire, mais bien qu'il ne me plût point.»

    Mais bien vite il la reconnaît comme une âme sœur :  « Rares sont les vrais lecteurs labourant à moissonner toute l'étendue du champ de la pensée » et l'amitié littéraire est immédiate.

    Cette amitié se poursuivit jusqu’à la mort de Montaigne.

     

    Il la fait sa fille d'alliance, ce qui sera souvent contesté par certains des amis de Montaigne car  «  Rares sont les femmes que leur noblesse, leur richesse ou leurs alliances tiennent quittes d'obéir au sort commun qui les veut niaises à douze ans, belles à quinze, mère à dix-sept, résignées à vingt, vieilles à vingt-cinq et dévotes à trente si elles ont survécu. »

     

    Marie apprenait son futur rôle d'éditrice. Il lui expliqua l'obèle :

     

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    « Voyez ce signe, Marie. Trois traits  y suffisent. Une barre verticale ferrée de deux traits brefs à chaque extrémité. Tant me plaît cette petite broche que les copistes alexandrins dénommaient obélos. J'ai fait mien ce signet de leurs hésitations sur l'authenticité de tel ou tel vers d'Homère. Il saura vous parler quand je me serai tu. Suivez-le à la trace. Il indique le point de bifurcation où enchâsser mon ajout dans mon texte ».

     

    Montaigne utilisait ces signes en permanence, ses Esssais se voyaient enrichir en permanence d’allongeails qu'il signalait d'un obèle.

     

    Marie de Gournay a tenu salon et aurait pu être académicienne, seul l’acharnement de quelqu’uns l’en empêchèrent, elle put ainsi consacrer sa vie à l’édition des Essais «  Sans la vigile fidélité de Pierre de Brach, sans la volonté de Françoise de Montaigne de faire respecter les vœux de son époux, j'eusse été écartée de l'histoire des Essais, notre amitié niée, sa langue épurée, censurée et ses papiers détournés »

    Elle fut à l’origine des éditions de 1595 et 1598 pour lesquelles elle demeura dans le manoir de Montaigne et travailla librement dans sa librairie car elle détenait la confiance de la femme et de la fille de Montaigne.

     

     

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    Le titre peut éloigner des lecteurs et ce serait dommage, mais il faut bien dire que Martine Mairal s’en donne à coeur joie avec les mots disparus de la langue française, obèle est de ceux là, ces mots même que l’Académie de l’époque voulait voir supprimer du dictionnaire au grand dam de Marie de Gournay.

    Martine Mairal croit à l’amitié amoureuse entre ces deux êtres « Il me fut Michel, je lui fus Marie. Le reste ne regarde que nous. » fait-elle dire à Marie de Gournay.

     

    Quand on sait que pendant des années, l’Université Française a fait la fine bouche à propos de Montaigne, ne lui reconnaissant pas le titre de philosophe, on s’étonne moins que ce roman magnifique soit passé quasi inaperçu à sa sortie.

    En ces temps de rentrée littéraire il est bon de se rappeler qu’il ne suffit pas d’être de paraitre à l'automne pour être un bon roman. 

     

    Merci à Rosa 

     

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    Le livre : L’Obèle - Martine Mairal - Editions Flammarion 

     

  • Les Chemins de Sata - Alan Booth

    Soleil levant du Cap Soya au Cap Sata


    Il y a plusieurs Japon, celui de Fukushima, celui de Hokusaï, celui de Shei Shonagon, celui des usines Sony, celui des geishas….

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                                                   ou celui d'Hiroshige

     

    Partir cinq mois à la découverte de ce pays c’est ce qu’a fait Alan Booth dans les années 80. Marié à une japonaise il veut en savoir plus sur ce pays, et maîtrisant bien la langue le voilà sac au dos, étirant un voyage du nord au sud du Cap Soya au Cap Sata

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    Accompagnons le sur les chemins d’un Japon méconnu et insolite d dans son parcours à travers les paysages, la littérature, les villes et les villages. 

    Voyageant du Nord au sud il part en juin 

     

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                                     Le point de départ


    « quand a saison des pluies battait son plein. Mais Hokkaido, la plus septentrionale des quatre grandes îles japonaises, étouffait sous une vague de chaleur... C'est sans le moindre enthousiasme que les habitants du cap Soya s'aventuraient sous le soleil brûlant...  »


    Mais très vite la pluie va lui tenir compagnie, pluie chaude de l’été, pluie d’automne parfois glaciale lui faisant bénir les abris bus qu’il rencontre. 

    En bon anglais Alan Booth ajoute des notes humoristiques aux incidents et rencontres quotidiennes ainsi les réveils tonitruants offerts dans les villages 

     

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    « les communautés rurales japonaises ont des moyens efficaces pour vous signaler que vous avez suffisamment dormi. Ce sont des sirènes dont le vacarme vous tire de votre fut on dès la pointe du jour »

     

    La mise en jambe est difficile et  les haltes de midi au noodle shop sont bienvenues et l’occasion de siroter une bière, boisson magique qui incite aux échanges avec les voisins de table.

     

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                                  La halte de midi 


    Comme dans toutes les randonnées l’itinéraire est le souci de chaque minute, l’auteur nous apporte quelques éclairages sur les contrées traversées

    « l’île d’Hokkaido n’a été rattachée au continent japonais que relativement récemment.(…) Encore aujourd’hui elle est considérée comme atypique, de par son climat, ses bancs de glace, la rareté de ses cerisiers »  mais aussi sur les inévitables détours et contours 

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    « Le sentier le long du lac que je m’apprêtais à suivre devait être une invention des cartographes. Au moins deux personnes que j’interrogeai jurèrent qu’il n’avait jamais existé. »

     

    Là ou Booth se révèle excellent c’est sur l’oeil mi-sérieux mi-amusé qu’il porte sur les japonais rencontrés. Les rencontres donnent lieu à des échanges ahurissants entre un anglais qui maîtrise le japonais et un japonais qui s’acharne à lui répondre en anglais car il est impossible qu’un gaijin  parle sa langue ! 

    Des écolières au paysan, du pêcheur aux vieillards, du lutteur de Sumo au calligraphe lettré, c’est un monde qui se dévoile au long des 3000 km parcourus d’île en île : Hokkaïdo, Honshu, Shikoku, Kyushu.


    Etrange pays où les séismes donnent lieu à des proverbes

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    «  Selon un vieux proverbes japonais il y a quatre chose vraiment terrifiantes au monde : les tremblements de terre, le tonnerre, les incendies et les papas  »


    mais aussi aux sources thermales bienfaisantes

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     « Un jour j’écrirai un ouvrage sur les sources thermales. Avec la bière et les têtes dans l’océan, elles me procurèrent les seules grands plaisirs corporels de cette folle équipée »

    La nourriture et les haltes du soir rythment les journées, la recherche d’un ryokan (auberge) ou d’un minshuku (chambre d’hôte) réserve bien des surprises, ryokan fermés, hôteliers bougons

     

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                          un ryokan au bout de la journée


    mais aussi accueil sans pareil avec le bain du soir

     

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    « Un bain japonais n’est pas fait pour se laver. On se lave avant d’entrer dans le bain, de manière à être dégagé de toute obligation autre que le plaisir de s’immerger, se sentir revivre, bavarder avec les voisins, somnoler, fredonner, ou écouter tomber la pluie du soir »


    Le bain rituel est l’occasion d’entrevoir un Japon surprenant « c'était un vrai plaisir d'observer ces vieilles dames dont la poitrine tombait jusqu'à la ceinture frotter le dos de leurs maris en gloussant comme des écolières »

    Ajoutez une bière, un saké et c’est le repos du guerrier chaussé de geta et enroulé dans un yukata le kimono que l’on vous offre au sortir du bain. Adieu fatigue, froid, découragement !

    Mais le matin venu retour aux choses plus difficiles « tofu, riz gluant et prune séchée  » en guise de petit déjeuner.

     

    Ces cinq mois de voyage passent en un clin d’oeil. Le récit est très vivant, souvent drôle, parfois surprenant et d’une grande émotion lorsque à Hiroshima il est pris à parti par un homme le prenant pour un américain.

     

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     « J’ai observé le soleil automnal embraser les feuilles des arbres d’Hiroshima. C’est dans ce même ciel sans nuage que la bombe a été larguée - plus aveuglante encore que mille soleils, disent les gens qui l’ont vue.(…) L’humanité n’avait jamais connu au cours de son histoire pareille pluie ni pareils soleils. »

     

    Voici le bout du voyage et la pointe du Cap Sata


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    Je ne peux m’empêcher de vous livrer une des dernières anecdotes du livre car elle résume la sensation éprouvé par notre marcheur tout au long du périple.


    «  Je m'étais mis à discuter avec un vieil homme. Lorsqu'il me demanda où je vivais, je lui répondis que j'habitais Tokyo.

    - Tokyo, ce n'est pas le Japon, me dit-il. On ne peut pas comprendre le Japon lorsqu'on habite Tokyo.

    - Non, acquiesçai-je, c'est pourquoi je désire voir comment on vit ailleurs.

    - On ne peut pas comprendre le Japon d'un simple coup d'oeil.

    - Non, il ne s'agit pas seulement d'observer, comme un touriste pourrait le faire depuis la vitre d'un bus, mais de traverser le Japon à pied.

    - On ne peut pas comprendre le Japon en le traversant à pied.

    - Pas seulement ça, mais aussi parler à tous les gens que je rencontrerai.

    - On ne peut pas comprendre le Japon en parlant aux gens.

    - Alors comment voulez-vous que je comprenne le japon ?

    - On ne

  • Le Refuge - Terry Tempest Williams

     Emotions et sentiments 

     

    Douleur et beauté de la vie car « Tout ce que nous avons, c’est l’instant présent »

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      Bruant des neiges

    Les oiseaux ont « le pouvoir de dénouer les fils de mon chagrin. »

     

    J'ai choisi ce livre d’abord pour les oiseaux. L’auteur est une femme passionnée d’ornithologie qui passe ses journées à observer, cataloguer, photographier, surveiller les oiseaux d’une réserve d’un des lacs les plus extraordinaire de la planète : le Grand Lac salé

     

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                                                              Le Grand Lac salé 
     

    « Marcher le long de la ligne d’algues du Grand Lac salé après une tempête n’a rien à voir avec une promenade au bord de la mer. Il n’y a pas de coquillages, pas de varech qui craque sous les pas, ni de crabes. Ce qui reste c’est une histoire délavée de plumes, d’os, d’oiseaux encroûtés de sel. »

     

    Elle scrute jour après jour le niveau du lac car le bel équilibre de la réserve menace d’être à jamais détruit par la montée des eaux. Les oiseaux risquent de fuir ou de disparaître faute de trouver de quoi se nourrir et de se reproduire.Si leur habitat est détruit, ils vont être les victimes de cette montée des eaux.

    nous sommes dans l’Utah en 1983.

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                                                            Une avocette 

     

    Terry Tempest Williams tient une sorte de journal ornithologique et météorologique. Elle nous fait admirer toutes les espèces qui peuplent la réserve, pluviers, avocette, courlis, bruants des neiges, phalarope de Wilson, fuligule à tête rouge.

    Au fil des chapitres qui porte chacun le nom d’une espèce, et dans le même temps elle annonce la hauteur des eaux, leur montée inéluctable.

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                      Refuge de Bear River © By Steve Shames

     

    Son travail et les oiseaux l’aide à  apaiser son inquiétude « C’est peut-être l’étendue du ciel en haut et l’étendue d’eau en bas qui apaisent mon âme. » car la vie professionnelle ne nous définit pas entièrement et Terry Tempest Williams qui lutte pour la survie d’un écosystème, se bat aussi aux côtés de sa mère atteinte pour la seconde fois d’un cancer. 

    La mère de Terry est le neuvième membre de la famille à être atteint, les essais nucléaires du Nevada qui ont été poursuivis jusqu’en 1992 font des dégâts longtemps après leur arrêt. 

    Diane est atteinte d’un cancer des ovaires, elle se bat depuis 15 ans contre une maladie apportée par le vent qui souffle au dessus des déserts. 

    La famille appartient à la communauté mormonne, attachée aux valeurs et traditions familiales sans être corsetée par elles. 

    Les rapports mère fille sont chaleureux même si l’une défend la gente ailée alors que l’autre la déteste ! La mère de Terry fut traumatisée par Tippi Hedren et le méchant Alfred. 

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      Un lieu en danger 

     

    Ce double combat est douloureux, difficile, la scientifique comme la fille, se sentent pleines de rage. Militante énergique et en colère car dit-elle en cent ans « La Californie a perdu 95 % de ses marécages. L’Utah vient d’en perdre 80 % en deux ans. »  

    Elle suit la progression de la maladie chez sa mère, sans pour autant renoncer aux petits plaisirs du quotidien, ceux qui aident au combat pour la vie et donne à ce récit une lumineuse beauté. 

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    Un bon et beau récit, plein de douleur, d’amour, de compassion mais aussi d’impuissance devant la colère de la nature, devant la maladie. Un livre plein de larmes qui peuvent être un soulagement à une condition dit la grand-mère de Terry « Seulement quand on sait que ces larmes ont une fin » 

    Un livre à double entrée, un auteur qui est un guide que l’on a envie de suivre sur les chemins de Bear River. N’oubliez pas vos jumelles 

     

    L'avis de Wallace Stegner  

    Ce qui est extraordinaire dans Refuge, c’est que Terry Tempest Williams est trop pleine de vitalité elle-même, trop fascinée par toutes les manifestations de la vie pour écrire un livre sombre. Il n’est pas une page dans Refuge qui ne bruisse de battements d’ailes

     

    Le livre : Refuge - Terry Tempest Williams - Editions Gallmeister -2012

     

    L'auteurTerry Tempest Williams est née en 1955 dans le Nevada et a grandi dans l’Utah. Naturaliste et activiste engagée dans la défense des

    TerryTempest_418w.jpgdroits des femmes, son combat pour la préservation de l’environnement l’amène à témoigner devant le Congrès à plusieurs reprises. Elle y dénonce les effets des essais nucléaires réalisés dans le désert du Nevada et qui sont alors minorés par le gouvernement. Auteur de nombreux récits, essais et poèmes, elle est aujourd’hui une voix incontournable de l’Ouest américain.(source l'éditeur)

     

     

  • Citrons acides - Lawrence Durrell

    Les Amoureux de la Grèce : Lawrence Durrell

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     www.martin-liebermann.de

    "Les ruines du monastère de Bellapaix comptaient parmi les vestiges gothiques les plus remarquables du Levant "

     

    C’est une année anniversaire pour Lawrence Durrell né en 1912. Ce diplomate romancier m’a toujours plu, découvert en lien avec la lecture d’Henry Miller avec qui il fut ami, c’est son amour pour la Grèce, Chypre et Alexandrie qui fait de lui l’écrivain de la Méditerranée, des îles, du soleil. 

    Occupant des emplois variés, attaché de presse à Athènes, employé par le Foreign Office, les années cinquante le trouve à Chypre, il tirera de son séjour Citrons Acides  

     

    Un peu d’histoire pour comprendre 

    Chypre après beaucoup d’autres envahisseurs, était « occupée » par les anglais depuis 1878 ! 

    Le Royaume-Uni avait promis le rattachement de Chypre à la Grèce si celle-ci combattait aux côtés des alliés lors de la Première Guerre, les grecs refusent et en 1953 Chypre est toujours sous domination britannique.

    Un mouvement nationaliste naît et l’île sera après des mois de tergiversations des anglais, plongée dans le chaos et la violence.

    Au lieu du rattachement prévu à la Grèce, c’est l’indépendance qui sera proclamée en 1960 avec un très fragile équilibre entre les communautés turques et grecques, puis la partition et pour finir l’entrée dans la Communauté Européenne.

    Citrons acides est donc un livre présentant deux facettes de Chypre, une ensoleillée et idyllique et une seconde plus sombre et entâchée par la violence.

     

    Commençons par le versant ensoleillé. 

    Lawrence Durrell à son arrivée à Chypre cherche à se loger, il fait très vite connaissance avec l’instituteur, l’épicier, les pêcheurs avec qui il passe nombre de soirée, vidant des gobelets de vin parfumé.

    Il a l’intention d’accueillir sa famille et ses amis et il se met en quête d’une maison à un prix raisonnable et pas trop loin de Nicosie où il doit travailler comme prof d’anglais.

    Et le bonheur du lecteur commence, cette chronique au quotidien de la vie de l'île, la magnificence de la nature, la beauté des paysages millénaires, la chaleur amicale des habitants, tout est superbe.

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    « Dehors, le soleil de printemps brillait sur les arbres gonflés de mandarines ; un petit vent frais chargé du parfum des neiges du Taurus agitait doucement la cime des palmiers »

     

    Je vous laisse la joie de la découverte des tractations immobilières avec un turc madré et une propriétaire qui se cabre, à elles seules elles valent la lecture de ce livre. 

    Durrell choisit de vivre dans le village de Bellapais par lui baptisé dans le livre Bellapaix pour exorciser la violence.

    « L’atmosphère du village était absolument ensorcelante (...) Partout des roses, et les pâles nuages de fleurs d’amandier et de pêcher »

    La visite de la maison lui ôte toute raison :

     

     

    « Le jardin avait quelques mètres carrés, mais il était planté d’arbres (...) six mandariniers, quatre citronniers, deux grenadiers, deux mûriers et un grand noyer au tronc penché  »

    La période des travaux venue gare à celui qui s’assoit sous l’arbre de la paresse

    « Ce fut bientôt la lente procession des mules montant leurs charges de briques et de sacs de ciment par les ruelles tortueuses du village »

     

    Enfin la maison est prête à recevoir son frère, l’étonnant naturaliste Gerald Durrell qu’il a tenté de faire mourir à la bataille des Thermopyles (je vous laisse le plaisir de l’anecdote savoureuse) mais qu’il sait ressusciter fort à propos

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    les amis :  Freya Stark et surtout Paddy le magnifique.

    « Le voilà un bras sur l’épaule de Michaelis qui lui a indiqué le chemin » Patrick Leigh Fermor connaisseur hors pair des chants grecs envoûtants qu'il entonne pour la joie de tout le village

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    Patrick Leigh Fermor © Ulf Andersen/Getty Images

     

     « Je vois qu’un attroupement s’est formé devant la maison, ils sont quinze ou vingt qui écoutent dans la nuit et dans le plus parfait silence »

     

    Je ne sais pas ce qui l’emporte du comique des situations, de l’évocation des lieux chargés d’histoire, de la description des paysages qui vibrent sous le soleil ou des personnages si hauts en couleur.

     

    Si l’on vient au versant sombre, sès son arrivée il est frappé par les inscriptions « Enosis seulement » et assez vite les habitants lui confient « Nous ne voulons pas chasser les Anglais, nous voulons qu’ils restent mais en amis et non en maîtres »

     

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    Les troupes anglaises à Chypre en 1958

     

    Lawrence Durrell n’approuve pas la violence et ne se range pas aux côtés des Chypriotes mais condamne les tergiversations anglaises qui ne font qu’attiser la situation. Un lent processus de rancune et d’exaspération dit-il qui finira par lui faire quitter Chypre. 

     

    Une belle façon de faire connaissance avec cet écrivain.

     

    Pour connaitre mieux Chypre rendez vous chez Miriam 

     

     

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     Le livre : Citrons Acides - Lawrence Durrell - Editions Buchet Chastel  1994 ou  Phébus libretto 2012