Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Voyages dans le Reich - Oliver Lubrich

Taire ou dénoncer dans le Berlin des années trente 

9782742773657FS.gif

Ils sont nombreux les écrivains, journalistes, intellectuels qui ont fait le voyage en Allemagne après l’accession au pouvoir d’Hitler ou pendant la guerre, entre 1933 et 1945.
Qu’ont-ils vu ? quelles ont-été leurs réactions ? Etaient-ils des sympathisants, au contraire ont-ils fait savoir ce qu'ils voyaient,  ont-ils alerté ?  Certains furent horrifiés mais d’autres fascinés.

Le livre se compose d’un grand nombres d’écrits, de longueur très variable, rassemblés par Oliver Lubrich qui enseigne la littérature à Berlin.

L’intérêt de cette anthologie c’est la variété, la diversité des visiteurs, certains très connus, d’autres moins, Belges ou Suisses, Anglais ou Américains, ils sont en Allemagne pour des raisons diverses qui vont du travail pour William Shirer, à un voyage d’agrément pour Virginia Woolf.  Ecrivains, diplomates, journalistes, scientifique ou simple voyageur.

reichstag.jpg

 Incendie du Reichstag Berlin 27 février 1933

Christopher Isherwood qui choisit lui de quitter Berlin en 1933 : 
«Tous les soirs, je vais m'installer dans un grand café d'artistes à moitié vide, près de l'église du Souvenir. Des juifs et des intellectuels de gauche y rapprochent leurs têtes au-dessus des tables de marbre, s'entretenant à voix basse, angoissée. Beaucoup d'entre eux s'attendent à être arrêtés, aujourd'hui, demain ou la semaine prochaine.» et il ajoute que presque tous les soirs des SA investissent le café pour quêter, chacun étant obligé de contribuer.

Georges Simenon en Allemagne au moment de l’incendie du Reichstag et de la terreur en Allemagne
« Des envoyés spéciaux écrivaient sans rire Il est impossible que le parti de la violence l’emporte
Il ne faut pas leur en vouloir, c’était la première fois qu’ils mettaient les pieds en Allemagne et ces milliers de chemises brunes, ces autos avec des mitrailleuses, les impressionnaient vraiment. »
« Le Führer était bien tranquille au milieu de son état-major, au Kaiserhof, je l’ai rencontré dans l’ascenseur. »
« Au Kaiserhof, à Berlin , personne n’était ému, ni inquiet, ni étonné »

berlin.jpg

 1933 Défilé des SA sous la porte de Brandebourg

Virginia Woolf
Au passage de la douane elle dit « Nous nous montrons obséquieux (...) première courbette de notre part. »
« Des gens se rassemblaient au soleil...plutôt sur commande, comme pour le sport à l’école. Bannières tendues dans les hauteurs en travers de la rue   “le juif est notre ennemi“  “Il n’y a pas de place pour les juifs“  Nous avons donc filé à toute vitesse, jusqu’à ce que nous soyons hors de portée de la foule docile dans son hystérie. »

Denis de Rougemont  en mars 1936 évoque la fascination de la foule lors des meetings et tente d'expliquer.
  «Un coup de projecteur fait apparaître sur le seuil un petit homme en brun, tête nue, au sourire extatique. Quarante mille hommes, quarante mille bras se sont levés d'un coup. L'homme s'avance très lentement, saluant d'un geste lent, épiscopal, dans un tonnerre assourdissant de Heil rythmés.»
« Cela ne peut se comprendre que par une sorte particulière de frisson et de battement de coeur — cependant que l’esprit demeure lucide. Ce que j’éprouve maintenant, c’est cela qu’on doit appeler  “l’horreur sacrée“. Je me croyais à un meeting de masses, à quelques manifestations politiques. Mais c’est leur culte qu’ils célèbrent. »

nazisme.jpg

 La montée de la terreur

Le Français Jacques Chardonne est invité à Weimar par  Goebbels en 1941 en compagnie de Ramon Fernandez, Marcel Jouhandeau et  Drieu La Rochelle. Chez lui c'est l'admiration envers le régime nazi qui l'emporte.
« Voici des notables d’une sorte nouvelle (...) L’impression qu’ils me donnèrent immédiatement et qui n’a pas changé, je la traduirai par le mot élégance, et j’en ai trouvé plus tard la raison : ces hommes vivent au plus haut d’eux-mêmes. Cette transfiguration c’est le national-socialisme. »

Des textes également d’ Albert Camus, Samuel Beckett, Karen Blixen et Jean Genet

Les témoignages portent parfois sur la vie quotidienne et parfois sur les grands-messes du nazisme, sur l’ambiance dans les rues, la propagande du régime, les milieux artistiques. On y entend la colère, l’indignation, la surprise, mais parfois aussi une certaine sympathie voire de la fascination.

A travers ces textes c’est l’Allemagne qui se dessine dans les premiers temps du nazisme puis dans les débuts de la guerre, on y voit  la vie dans le Reich, l’emprise du parti nazi sur la population, l’ enthousiasme parfois délirant de la foule, la peur et la terreur pour certains.
J’ai apprécié que pour chaque texte soit donné un éclairage sur les circonstances d’écriture. Une courte biographie de chaque témoin se trouve en fin de volume.

Si vous êtes curieux, intéressé par cette période, ce livre devrait vous passionner.

Le livre : Voyages dans le Reich - Oliver Lubrich - Actes Sud 2008

Commentaires

  • @ Clara : si tu es intéressée par la période cela vaut la peine, je n'ai pas nommé tous les écrivains, ils sont nombreux

  • Moi aussi. J'ai plutôt écouté des émissions de radio sur ce thème là, je passerais bien à l'écrit. J'avais aimé aussi les romans d'Irmgard Keun sur cette période de montée du nazisme.

  • @ Aifelle : tu m'intrigues avec Irmgard Keun ? inconnu pour moi , tu as fait un billet ? je vais aller voir

  • Tu vas nous faire un Taire ou dénoncer sur les Compagnons de route du PC (visites en URSS, etc) un de ces jours? ^_^
    Ces textes (d'écrivains connus) sont frappants, de bons témoignages.
    Je cherche dans ma tête le nom d'un allemand qui a aussi parlé de cela, mais ça m'échappe.

  • @ Keisha : ah là tu me donnes une idée :-)
    Comme Cecile je pensais à Haffner, Brecht certainement mais je l'ai très peu lu.

  • A avoir trop longtemps travaillé sur ce sujet dans le cadre professionnel, je fais une allergie... J'y reviendrai sûrement, au risque d'avoir à nouveau des nausées...

  • @ Margotte : je t'accorde la possibilité de faire l'impasse avec toute ma compassion pour tes hauts le coeur :-)))))

  • @ Keisha : un allemand qui a parlé de "ça" tout simplement Bertold Bretch!
    Il faut dire que les allemands qui étaient opposants étaient soit en fuite soit dans des camps. Il ne faut pas oublier que les camps de concentration ont été initialement créés pour y enfermer ... des allemands hostiles aux nazisme!

  • @ Claudialucia : Erika Mann montre bien que les premières mesures prises furent contre les opposants allemands effectivement

  • Je note le livre parce qu'il m'intéresse bien, notamment l'aspect ecclectisme des témoignages. Je note Bertold Bretch aussi parce que personnellement, j'aurais dis Sebastian Haffner.

  • @ Cecile : ce que j'ai aimé c'est l'alternance d'écrivains très critiques, d'autres simplement stupéfaits, V Woolf un peu honteuse de ne rien dire, et bien sûr les futurs collaborateurs admiratifs

  • Malheureusement cela n'a pas servi de leçon car depuis Le IIIème Reich il y en a eu des dictatures. Qu'ont fait nos intellectuels qui défendaient les exactions des gardes rouges lors de la révolution culturelle et le régime des kmers rouges au Cambodge.

  • @ nadejda : je me souviens de débats houleux lors de certains nurméros d'Apostrophe entre des maoistes bon teint et des victimes qui devaient élever la voix pour être entendues

  • Ce livre semble en effet passionnant. Même s'il est toujours plus facile, après coup et avec de la distance, de juger de façon manichéenne une période, il va de soi que la montée du nazisme en Allemagne et l'engouement qu'il a suscité posent question. Pourquoi tout ça? Pourquoi tant de frénésie collective? Pourquoi si peu de résistance? Sans doute l'effet de masse, le panurgisme, la résignation, la peur.

  • @ Sandrine : parmi les visiteurs de l'époque (pas du livre) certains en toute bonne fois n'ont pas eu le pressentiment de ce qui allait arriver !
    ce type de livre m'intéresse non pour le jugement brutal à assener mais pour les questions que cela pose et qui n'ont rien perdues de leur acuité

  • A propos de Chardonne. François Dufay, dans "Le voyage d'automne", Plon, 2000, 240 p :
    - "Il [Chardonne] fait le récit de son extraordinaire voyage et plaide pour le peuple allemand, «qui ne demande aux nations vaincues qu'un peu d'intelligence. Une chance se présente pour la France qu'elle ne retrouvera pas. Notre vie ou notre mort se joue». Même Pétain en est abasourdi. «Chardonne, écrira le chef de cabinet du Maréchal, nous donnait le sentiment d'avoir conclu un pacte lucide avec le diable.»"

  • @ JEA : l'expression de Pacte lucide avec le diable est parfaite !
    Quand on voit la position de Ramon Fernandez on est stupéfait, des hommes d'une grande intelligence et ....

  • Dans l'excellente collection Texto, il y a aussi des textes de Joseph Kessel, sur cette période... mais ils ne concernent pas tous l'Allemagne.

  • @ Kathel : oui l'ai vu cette édition, je crois qu'i y en a plusieurs, j'ai un Quarto de Kessel, il faut que je regarde dedans si certains textes concernent cette période en allemagne

  • "Rhinocéros", la première pièce d'Ionesco « entièrement compréhensible » d'après le Times, et son premier grand succès, s'inspire de l'effroi qu'il a ressenti en observant les réactions de ses amis roumains devant la montée du nazisme en 37-38. Les effets dévastateurs de la « rhinocérite » qui gagne peu à peu toute la ville autour de Bérenger, voilà à quoi me fait penser ton billet sur ce livre.

  • @ Tania : dans les commentaires de mon billet précédent je crois que c'est Margotte qui déjà nous parlait de cette pièce, il faut absolument que je la lise
    elle semble parfaitement cadrée avec ce sujet

  • Oui, en effet, ce livre a l'air totalement passionnant. Il renvoie de plus à la question que je me pose toujours avec angoisse : "et nous, qu'aurions-nous pensé, qu'aurions-nous fait ?"

  • @ Annie : et j'ajoute que ferions nous si ......

  • Comme quoi l'intelligence n'est pas une garantie...une vigilance extrême et permanente s'impose.
    Je vais remettre la main sur le Rhinocéros moi aussi.
    Merci de ce billet si intéressant.

  • J'ai lu Irmgard Keun bien avant l'existence des blogs ! Je te mets le lien Wikipédia vers elle http://fr.wikipedia.org/wiki/Irmgard_Keun
    J'ai lu "Gilgi" et "après minuit". Je ne sais pas si elle est encore éditée.

  • J'ai entendu des hommes politiques, qui, récemment, dans des émissions de radio étaient "gênés" qu'on fasse des références à l'histoire ... Un tel rejet est particulièrement inquiétant. Je note ces ouvrages, Dominique, et nous souhaite de n'avoir pas à connaître de telles manipulations de masses.

  • @ Florence : parfois avec ce genre de billet j'ai l'impression d'enfoncer des portes ouvertes et juste après j'entends à la radio des infos, des paroles que me font dire que non, que j'ai raison de lire et de présenter ce type de livre
    merci à toi

  • Il a l'air très intéressant en effet... et extrèmement complet... Une période bien sombre de l'histoire... Mais tellement approché tous les jours... En Syrie par exemple ou ce qui s'y passe est innommable...

  • @ L'or des chambres : en écoutant les nouvelles de Syrie on a l'impression de retourner à un moyen âge où les droits étaient bafoués !!! les leçons ne semblent pas très efficaces

  • J'aime les compilations de textes d'auteurs différents. J'ajoute cet Actes Sud à ma liste à lire.
    Je suppose que Celine n'y figure pas...

  • @ Lystig : alors tu auras plaisir à lire ce livre

Écrire un commentaire

Optionnel