Deuxième incursion chez les écrivains sudistes et une nouvelle plongée dans l’absurdité et l’obscurité du monde.
Un roman placé sous le signe du bien et du mal et de la guerre qu’ils se livrent depuis Caïn et Abel.
Le sud de Dorothea Lange et Flannery O'Connor
« L’oncle de Francis Marion Tarwater n'était mort que depuis quelques heures quand l'enfant se trouva trop soûl pour achever de creuser sa tombe, et un nègre nommé Buford Munson, qui était venu faire remplir sa cruche, fut obligé de la finir et d'y traîner le cadavre qu'il avait trouvé assis à table devant son petit déjeuner, et de l'ensevelir d'une façon décente et chrétienne, avec le signe du Sauveur à la tête de la fosse et assez de terre par-dessus pour empêcher les chiens de venir le déterrer. »
C’est une plongée dans les ténèbres que ce roman qui démarre sur une sorte de coup de folie. Un vieil homme, certain d’être un élu de dieu, a kidnappé son petit-neveu tout bébé, il a élevé celui-ci dans la certitude d’être un prophète, il l’a soustrait à toutes les influences qu’il considérait comme pernicieuses, pas d’amis, pas d’école, pas de distractions à part les sermons dont il abreuve largement le monde alentour et l’accès à son alambic.
A sa mort Francis Marion Tarwater va se retrouver seul et entame un retour vers ses origines. Il part à la recherche de George Rayber un oncle qui a tenté de le soustraire à la folie du vieil homme mais l’a abandonné à son sort, il a quatorze ans et ne connait que haine et colère comme sentiments.
H Bosch le jugement dernier Musée des Beaux arts de Vienne
Le mal est fait, il entend des voix, son grand-père lui a intimé l’ordre de baptiser Bishop l’enfant handicapé de son oncle, il s’y refuse mais l’emprise du vieil homme est encore très prégnante et quand il découvre l’enfant qui « avait les yeux légèrement enfoncés sous le front, et ses pommettes étaient plus basses qu’elles n’auraient dû être. Il était là, debout, sombre et ancien, comme un enfant qui serait enfant depuis des siècles. » il ne sait plus.
La tragédie est en marche sur fond de fournaise sudiste
Cette histoire est traitée avec un humour corrosif et féroce que j’avais rarement rencontré jusqu’ici. Flannery O’Connor nous montre la face cachée de la foi religieuse, celle qui déclenche souffrance, cruauté, superstitions ridicules mais dangereuses c'est d'autant plus courageux et surprenant qu'elle était elle-même très croyante.
C’est l’Amérique sous l’emprise de la Bible et des prédicateurs de tous poils.
On ne sait ce qui l’emporte, le grotesque ou l’effroi, l’auteur utilise les sentences bibliques comme des fers rouges, le titre du roman sortant de l'Evangile de Matthieu, ses personnages se dirigent droit vers la damnation.
Il y a du Jérôme Bosch dans ce roman, comme le peintre Flannery O'Connor mêle l’enfer et le grotesque.
Son biographe et traducteur Maurice-Edgar Coindreau dit qu’elle n’avait « aucune illusion sur la vraie nature d'une humanité qu'elle estimait plus ridicule encore que méchante ».
H Bosch la chute des anges rebelles Musées royaux des beaux arts Bruxelles
Flannery O’Connor a écrit deux romans ayant pour acteurs le prophète grotesque qui nous ferait rire s’il n’était aussi dangereux, les héros marginaux dont on aurait pitié s’ils n’étaient aussi violents. C’est absolument saisissant et éprouvant à la fois.
C’est le premier roman que je lis de l’auteur mais je sais que j’y reviendrai.
Le livre : Ce sont les violents qui l’emportent - Flannery O’Connor - Traduit par Maurice-Edgar Coindreau - Editions Gallimard
Commentaires
Bonjour Dominique. Je n'ai lu que Wise blood, La sagesse dans le sang (Film Le Malin). Très grand livre tout à fait dans ce registre. Chroniqué il y a très longtemps. Bonne journée.
je me doutais que tu avais du lire Flannery O'Connor je vais tapoter pour trouver ton billet
Je suis contente qu'un auteur américain sache décrire ces dérives qui m'effraient toujours. Surtout si cette auteure est elle-même croyante. Les USA me font peur sous l'angle de la foi et des comportements collectifs hystériques.
Quand on a un peu lu sur la place de la religion aux US on ne peut qu'être inquiet du jour où un excité croyant prendra le pouvoir
je suis comme toi assez hérissée contre les religions et j'ai trouvé d'autant plus intéressant de voir avec quelle vigueur cette femme profondément croyante lutte contre les idioties et dangers religieux
J'adore cette écrivain. J'avais lu ses deux romans et ses nouvelles dans la collection Biblos Gallimard et ai découvert il y a peu sa correspondance vraiment passionnante intitulée "l'habitude d'être" qui permet de revisiter toutes les facettes de cette jeune femme attachante au regard aigu
j'avais lu sa correspondance mais pas ses nouvelles ni ses romans, je viens d'acheter le quarto et j'ai bien l'intention de me régaler
je te mettrai un petit message après lecture
Alors là, je veux le lire ! Pour le moment , je me régale avec le destin de Mr Crump , pas une nouveauté non plus, mais alors c'est magistral et une écriture à tomber !
Mr Crump c'est d'une méchanceté et d'une violence inouïe, j'avais été emballée ne cherche pas de billet il n'y en a pas c'était avant blog
Avec ce roman tu vas te régaler
L'Amérique est vraiment le pays des extrêmes et des contrastes, rien n'y est fait à moitié, il n'y a qu'à observer l'actualité, cela glace le sang... J'avoue beaucoup aimer le peintre Jérome Bosch alors Flannery O'Connor sera peut-être bien une de mes prochaines lectures. Belle journée Dominique, à bientôt. brigitte
Quand je suis allée aux USA l'an dernier j'avais été impressionnée par la foule qui sort des églises le dimanche, je pense qu'en France les églises souhaiteraient la même
Voilà qui me fait furieusement penser à l'univers de Pollock dans "Le diable tout le temps" et son recueil de nouvelles, deux lectures chocs pour moi, alors je note le nom de cette auteure, à découvrir.
pollock il faut que je tente la lecture mais je vais me tourner vers ma médiathèque car je ne suis pas certaine d'aimer
Saisissant et éprouvant, dis tu : je sens qu'il faut choisir le moment pour cette lecture!
Le roman est court et assez vite lu mais il est du genre à laisser des traces, je pense qu'aucun lecteur ne peux après lecture oublié Tarwater
le roman secoue un peu c'est vrai mais mérite vraiment la lecture en cette période d'élections américaines c'est salutaire
A lire ton billet, j'imaginais un roman de Flaukner, parce que tout ça, cela pourrait être de lui, ou de Cormac MacCarthy...
On est dans le même monde, le sud, les pauvres blancs, chez O'Connor les noirs sont absents en tout cas dans ce roman mais on retrouve un monde de préjugés et de sectarisme qui est aussi présent chez Faulkner
C'est un thème que je lis assez peu. Je note tout de même...
un pan de la littérature mondiale à découvrir
Je viens de relire mon billet et curieusement je me souviens maintenant que je ne l'avais vraiment apprécié qu'à travers le film, un grand film. Comme quoi les souvenirs de lectures peuvent s'avérer parfois assez imprécis. Mais j'ai envie de découvrir Et se sont les violents... A bientôt.
fais l'expérience de la lecture elle vaut la peine
Pas lu, donc très intéressée par ton billet sur ce titre qui rejoint nos inquiétudes actuelles.
oui le thème est un peu dans l'air du temps : violence et religion !
Ouf, Faulkner et Flannery O'Connor, je connais. Ma liste de livres à lire ne s'allonge donc pas. Mais celle des livres à relire, oui.... Permettez que je m'absente de votre blog durant quelques jours, afin de me remettre à flots !
Bon week end.
Je vous accorde bien volontiers des vacances :-))))
Impossible pour moi de m'imposer plus de violence encore dans la lecture de fictions même si elles ne font que rendre compte de réalités... Cela m'anéantit.
Je lirai en revanche peut-être bien sa correspondance...
Sa correspondance donne déjà un aperçu du personnage
A frémir! L'extrait que tu nous présentes est terrifiant! mais quelle force dans cette lecture et dans la dénonciation des fanatismes et de l'obscurantisme; ce qui nous prouve que ce n'est pas l'apanage d'une seule religion! Il faut que je lise ce livre.
j'ai vraiment été enthousiasmé par ce roman et je suis admirative de cette femme qui sait mettre l'homme avant sa croyance