Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Littérature turque et Arménienne - Page 2

  • La Tempête des gazelles - Yachar Kemal

    Retour en Anatolie

    9782070734818FS.gif

    Ma rencontre avec Yachar Kemal est toute récente et chance j’ai démarré par une trilogie ce qui me garantit un plaisir prolongé.
    Dans le premier tome de cette Histoire d’île, Regarde donc l’Euphrate charrier le sang, Kemal nous installait sur les lieux, l’île Fourmi en pleine mer Egée, un petit paradis qui sert de havre de paix à tout une série personnages en recherche d’un lieu où vivre après avoir été chassé de chez eux par la guerre et les terribles décisions de modifier les frontières et de déplacer des populations prisent en 1920 après la défaite de l’Empire Ottoman.

     

    13177582.jpg

    Dans ce deuxième volet cette petit île voit se multiplier sa population, les réfugiés affluent par familles entières, elles sont de provenance différentes, les croyances ne sont pas les mêmes, les traditions vont se rencontrer.
    Tous les nouveaux arrivants ont une histoire à nous conter, ils ont laissé derrière eux toute leur vie passée. Tous ne sont pas animés de bonnes intentions mais tous sont habités d’une formidable envie de vivre

    J’ai aimé la lenteur même du récit, on vit au jour le jour avec la population, les repas partagés, la pêche pour nourrir tout le monde, tous ces gestes quotidiens viennent nous dire que la vie s’est réinstallée avec ce qu’elle a de banal et de répétitif. On trouve, parmi les réfugiés, des hommes de la mer, des dresseurs de chevaux, des gens des montagnes, ceux qui élèvent les abeilles.

    images.jpg

    Photo Nathalie Ritzman

    Cette vie est entrecoupée de récits durs, violents, des souvenirs qui affleurent et qui se racontent. Les ravages de la guerre sont toujours évoqués car ils sont ancrés chez tous les personnages " Toute personne ayant vécu une telle catastrophe porte en elle une blessure inguérissable" et les histoires individuelles tissent un vaste histoire collective.
    Kemal dévoile ce besoin de liens, de fraternité et nous dit que le coeur de l’homme est assez grand pour pardonner, pour rêver, pour aimer même après l’indicible, ce que Boris Cyrulnik a appelé la résilience.

     

    Le paradis retrouvé

    "Et à présent cette île avec son poirier géant chargé de toutes les fleurs du monde et cette mer ridée de fines vaguelettes une fois de plus m'ont envoûté."

    verveine.jpg"La mer toute blanche étincellait à travers les branches des arbres. Il entra dans le moulin à vent. Une araignée avait tissé sa toile et se tenait tapie à l'une de ses extrémités. Trois grains de blé avaient formé un parfait triangle sur la meule. Ses pas l'emmenèrent ensuite vers l'oliveraie. En chemin son regard fut attiré par deux coccinelles posées sur une grande feuille verte, un défilé de fourmis, des scarabées et des fleurs de verveine bleues d'une espèce inconnue du lui."

    Je suis totalement sous le charme de Yachar Kemal : j’ai tout aimé, ses personnages, ses descriptions de la nature magnifiques, son amour pour sa terre d’Anatolie, cette capacité à nous rendre présent à la fois la beauté de sa terre et les horreurs de son histoire.
    Je ne vous dirai rien du style car je me suis laissé porté par le récit, par les rencontres, par la beauté de cette terre et cela signe le talent du conteur.
    Le premier tome a été publié en 2004 le second en 2010 j’espère ne pas attendre 6 ans pour avoir le bonheur de lire le dernier.

    Le livre : La Tempête des gazelles - Yachar Kemal - Editions Gallimard

  • Regarde donc l'Euphrate charrier le sang - Yachar Kemal

    Faire connaissance avec un écrivain avec le premier tome d’une trilogie, c’est s’assurer un triple plaisir

     

    regarde.gif

    Il y a longtemps que je voulais lire Yachar Kemal, j’ai fait coup double, satisfaire ma curiosité et avoir cette délicieuse impression que l’on est entré dans une maison amie.

    Après la Première Guerre Mondiale, la toute jeune Société des Nations se prononce sur le différend qui sépare toujours la Grèce et la Turquie, après la chute de l’Empire Ottoman et la naissance de la ile.jpgRépublique Turque, les deux états décident d’échanger leurs populations.
    Les habitants de l’île-Fourmi n’y croient pas, mais il faut se rendre à l’évidence un beau jour la nouvelle tombe « il y aura échange » et ils devront, parce qu’ils sont grecs, abandonner cette île où les grecs vivent depuis 3000 ans, Mustafa Kemal Atatürk en a ainsi décidé.
    Un beau matin de printemps ils embarquent et laissent derrière eux « Tout ce que nous avions, nos ruches, les fleurs de notre jardin, la plus belle vigne de l’île, notre maison... » Il est loin le temps où tout était prétexte à agapes, où, tous grecs et turcs venaient festoyer sur l’île « Les nattes étaient disposées sous les platanes, les pains tout chauds et fumants sortis du four étaient posés près de la vaisselle en cuivre étamée. Une merveilleuse odeur de pain sorti du four imprégnait les lieux »

    Sur l’île ne reste plus que Vassilis Atoynatanoghlou, lui il est resté, il ne comprend pas comment il aurait pu quitter « sa mer, son jardin, ses oliviers plantés de ses mains ses pêchers et ses cerisiers ». Et il promet 05 Fleurs de pecher.jpgde tuer le premier qui prendra pied sur son île.
    Il a des provisions, de quoi soutenir un siège, il a le souvenir de sa bien aimée dont le parfum le poursuit où qu’il aille et il a son chat qui a échappé au massacre des animaux domestiques.
    Pour lui tenir compagnie il a aussi ses souvenirs, ceux de la guerre, de sa marche à travers la campagne enneigée, la neige à hauteur d’homme, lui les pieds nus et couvert de poux « Et ces dizaines de milliers de soldats saisis par le gel, le vent et les tempêtes de neige »
    Alors le jour où, Poyraz Musa un turc, prend pied sur l’île,  une formidable partie de cache cache va commencer entre ces deux ennemis qui ont chacun à leur façon affronté les horreurs de la guerre, supporté le fracas des armes, deux survivants de la bataille des Dardanelles.
    Poyraz, vient s'installer sur l'île où il a acheté une propriété, il est riche et par chance il est malin, il a usé de flatterie pour arriver à ses fins mais le voilà propriétaire d’une belle maison et d’un moulin. Il est heureux car l’île est magnifique  «  Le ciel, la mer, la terre, les fleurs, les oiseaux, les arbres, les verts, les orangés, le violet, tout avait viré à ce rose de pêcher en fleurs »
    Les deux hommes vont s’épier, se chercher, se deviner, s’ignorer mais vont-ils pouvoir cohabiter ? L’un certain de la nécessité de tuer cet envahisseur, l’autre sûr d’avoir enfin trouver le paradis sur terre.

    masquesgrecsyb6.jpg

    Un roman superbe, flamboyant de couleurs, un conte épique comme devaient savoir en raconter les poètes ambulants de l’antiquité, ces rhapsodes qui chantaient l’Iliade de village en village.
    Les personnages de Yachar Kemal sont issus de sa terre anatolienne, une mère aux bras chaleureux, un bandit d’honneur, tous hauts en couleur et chaleureux. Les situations même les plus dures sont teintées de cocasserie. Mais là où il est impérial c’est lorsqu’il parle de sa terre, de ses parfums, des arbres, des abeilles, de la pêche, de la beauté de cette île allégorique où chacun peut trouver son propre paradis.
    Chance le deuxième tome de cette trilogie est déjà paru et je vais pouvoir poursuivre l’aventure sur l’île-Fourmi


    Le livre : Regarde donc l’Euphrate charrier le sang - Yachar Kemal - Traduit du turc par Altan Gokalp - Editions Gallimard

    kemal.jpgL’auteur :
    Yachar Kemal de son vrai nom Kemal Sağdıkgöğceli, est un romancier turc d'origine kurde, né en 1923 dans le village de Hemite près d'Osmaniye en Turquie.
    Issu d'une famille pauvre, il dut abandonner ses études après l'école primaire. Il pratiqua divers métiers, tout en publiant de la poésie. Il passa une année en prison en 1950 pour « propagande communiste », puis commença à travailler pour le quotidien Cumhuriyet. Son roman Mèmed le Mince lui valut le succès en 1955, succès grandissant qui lui valut d'être pressenti pour le Prix Nobel de littérature en 1972.
    Yasar Kemal est condamné en 1996 par la cour de sûreté de l'Etat à un an et huit mois de prison pour un article intitulé « Le ciel noir de la Turquie » publié en 1995 dans le livre « La liberté d'expression et la Turquie » et qui dénonce le traitement de la question kurde par l'Etat turc (source Wikipédia)


  • Jours de cendres à Istanbul - Berdjouhi

    Jours de cendres à Istanbul - Berdjouhi - Traduit de l’Arménien par Armen Barseghian - Editions Parenthèses
    joursdecendres.gifJe n’avais jamais rien lu sur le génocide arménien, ce livre m’a immédiatement attiré car il s’agit du récit autobiographique d’une femme qui a fuit la Turquie et fait sa vie en France, son fils devenu avocat,  a assuré la traduction de ce livre.

    1915 la guerre est commencée depuis un an, la Turquie est alliée de l’Allemagne et les arméniens vivant à Istanbul font l’objet d’une surveillance très insistante.
    Berdjouhi vient d’avoir un fils, son mari Sarkis Barseghian est un militant arménien brillant au visage "de prophète antique"
    Il est,comme elle, animé par une foi totale dans la cause arménienne et prêt à sacrifier sa vie. Pour lui elle a quitté une famille riche et respectée.
    Elle est inquiète " Tous les soirs j’avais le sentiment que nous nous réveillerions le lendemain en quelque désert sauvage, que plus rien des belles résidences, des jardins, des paysages merveilleux que nous avions tant admirés ne subsiterait, qu’un formidable typhon aurait tout emporté durant la nuit"

    Istanbul21915.jpg

    Istanbul en 1915


    Le 24 avril 1915 lorsque la police secrète turque arrête six cent intellectuels arméniens (écrivains, journalistes, juristes) c’est le début du génocide.
    Commencent pour Berdjouhi et les femmes arméniennes d’Istanbul ce qu’elle appelle " les jours de cendres" pendant cinq ans elle vivra seule, sans ressources, attendant en vain le retour de son mari. La ville est devenue dangereuse, elle est sans arrêt suivi lorsqu’elle se hasarde dans la rue.
    A lire ce livre on est impressionné par le courage, la volonté qui anime Berdjouhi. Elle va devoir lutter contre la peur, le désespoir, la faim parfois. Son courage elle le puise auprès d’autres femmes dans cette communauté arménienne d’Istanbul privée des chefs de famille.
    Cela nous vaut des pages émouvantes et passionnantes sur la vie de cette communauté, ses traditions, ses coutumes.

    L’auteur rend très vivant le rôle du hammam haut lieu d’échanges entre les femmes, les repas pris ensemble, les croyances et les superstitions, la vie du quartier de pêcheurs qui après les arrestations est " un cimetière peuplé de vieillards "
    Quatre femmes vont reprendre le combat des hommes. Les échos des massacres, des exactions, des tueries viennent jusqu’à elles " Comment appartenir à un peuple dont on éventre par jeu les femmes enceintes ? "
    genocidearmenien.jpgLeurs moyens sont limités, elles vont se consacrer à sauver des enfants arméniens enlevés à leur famille et adoptés par des dignitaires ou des policiers turcs.La situation rappelle les enlèvements d’enfants par les nazis, par la dictature en Argentine magnifiquement évoqué dans " Luz ou le temps sauvage" d'Elsa Osorio. On retrouve ici la même douleur, la même lutte.

    Ce génocide fut un moment de honte pour l’humanité, Berdjouhi dit " la langue des hommes est impuissante à exprimer l’horreur que l’homme inflige à l’homme" Après bien des péripéties, Berdjouhi fera l’expérience de l’exil et consacrera sa vie à la protection des enfants immigrés.

    J’ai beaucoup aimé ce témoignage, sobre, sincère, qui est un document fort sur cette période.
    Le génocide des arméniens en 1915 dont on attend toujours la reconnaissance par le gouvernement turc.

     

    Pour continuer votre approche le billet de Cathe sur une BD évoquant le même sujet et deux billets chez Mille et un livres  sur la page littérature Turque