Quand traduire devient un acte de résistance.
C’est un article de Sophie Benech traductrice sur le blog de Pierre Assouline qui m’a donné envie de parler de ce petit livre. Dans ce billet Sophie Benech y fait part de ses doutes, de ses difficultés pour traduire en particulier la poésie. Elle fait référence à un livre sur Anna Akhmatova qui vient de paraitre et dont je vous parlerai prochainement.
Ses remarques sur la traduction viennent parfaitement illustrer le livre dont je veux vous parler aujourd’hui.
Sophie Benech Traductrice et directrice des éditions Interférences
Un récit très court mais dont on regrette presque la concision tant cette étonnante histoire nous bouleverse.
On assiste à la représentation de Don Juan de Byron et à la fin de la pièce le public debout réclame l’auteur. Une femme gênée, voutée, est montée sur scène et là s’est écroulée. Cette femme c’est Tatiana Grigorievna Gnéditch.
Elle est une intellectuelle issue d’une famille d’aristocrate ce qui en Union Soviétique était déjà comme une épée de Damoclès. Tatiana Gnéditch est passionnée de littérature anglaise et attirée en particulier par Byron. Elle a de qui tenir, un de ses ancêtres fut le traducteur de l’Iliade, traduction jamais dépassée depuis.
La politique n’intéresse pas Tatiana mais la politique va la rattraper et soupçonnée puis emprisonnée pour ses origines, elle est condamnée à dix ans de camp en 1945.
Bizarrement elle ne part pas immédiatement au Goulag et elle va alors profiter de ce répit pour obtenir avec l’aide d’un de ses geôliers, papier et crayon et va s’attaquer à la traduction de Byron et va au nez et à la barbe du NKVD traduire les 17000 vers de Don Juan.
Le parcours de cette traduction est un exemple de solidarité et de prise de risques pour que ne se perdent pas les paroles des écrivains.
Une femme de la trempe d’un Soljénitsyne qui enterra ses manuscrits ou de Nadejda Mandelstam qui mémorisa l’oeuvre de son mari pour qu'elle ne s'efface pas.
Bien sûr on pense en lisant ce petit livre au « Proust contre la déchéance » de Joseph Czapski . J’ai fait également le rapprochement avec le superbe film La femme aux cinq éléphants qui, bien que dans un tout autre contexte, met parfaitement en valeur le travail de la traduction.
Ajoutez ce livre à votre bibliothèque.
Le livre : La traductrice - Efim Etkind - Editions Interférences
Commentaires
Ha voilà, marques pages évoquait récemment le sujet?
Traduire est difficile, alors la poésie, c'est le summum, non? Il y a un chapitre dans Histoire de la lecture là dessus (vers la fin, car je pense que tu possèdes ce livre ^_^)
Tu as encore mis la main sur une pépite (et la référence à Proust contre la déchéance...)
@ Keisha : Christian a en effet fait un sujet sur la traduction et coincidence pendant ce temps je lisais ce petit livre
Merci d'avoir parlé de ce titre qui suscite évidemment mon intérêt. Il y est question de la traduction comme acte de résistance et donc dans des conditions dangereuses.
L'URSS fut un terreau fertile pour les résistances de plume.
@ Christw : votre billet m'avait intéressé car la traduction, ici un peu particulière en raison des conditions d'enfermement, est vraiment une chose à la fois importante et un peu mystérieuse
j'ai assisté il y a peu à la présentation d'un livre et la présence et la participation du traducteur fut exemplaire, on a senti toute l'importance et la difficulté de l'art de traduire
Pfouu, je m'incline... tu es terrible!!!!!!
@ Clara : admire aussi que je suis pour l'économie : un tout petit livre !!
J'ai lu ce livre et je plussoie : lisez-le !
@ Pascale : grand merci pour ton appui !!
Sophie Benech est la dernière traductrice de Svetlana Alexievitch (La fin de l'homme rouge).
Dominique, je ne vois pas sur la gauche, dans ta liste d'auteurs, Alexievitch, un oubli ?
@ pascale : normal car il n'y est pas, mes listes ne sont pas à jour ....j'ai honte ......mais c'est vite passé :-)
La traduction est un art. Les propos que j'ai pu écouter lors de la remise du Prix Russophonie ( prix de traduction, belle initiative ! ) des traductrices de Marina Tsvetaeva étaient passionnants.
J'attends donc ton billet sur ce livre sur Anna Akhmatova ( déjà feuilleté en librairie, pas encore emporté :))
@ Marilyne : j'ai toujours un décalage entre mes lectures et mes billets, la paresse évidement
Une de mes amies, traductrice se plaint toujours qu'on laisse les traducteurs de côté. je vais lui envoyer le lien...
@ miriam : je suis très sensible aux traductions et par là tout à fait inéressée par les traducteurs
Nous avons la chance dans certaines langues d'avoir vraiment de grands traducteurs, en Russe c'est évident et Sophie Benech en fait partie aux côtés de Luba Jurgenson ou André Markowicz et j'en oublie
C'est un petit livre mais ce qu'il contient est inoubliable et on reste plein d'admiration pour tous ces êtres d'exception qui dans des circonstances extrêmes se sauvent grâce à leur passion pour la littérature. Le DVD donne à voir lui-aussi une femme exceptionnelle pleine d'énergie et d'amour. Merci à toi de me les avoir fait découvrir.
@ nadejda : pour moi aussi ce livre et ce film furent de belles découvertes, la densité qui émane de ce tout petit livre est prodigieuse, en quelques pages on est plongé dans ce que furent les années de malheur et de résistance du peuple russe et de ses intellectuels
Le billet de Christw m'a fait découvrir l'article passionnant de Sophie Benech et le tien retient mon attention avec cette traductrice de Byron dont j'ignorais l'existence. Formidable !
@ Tania : ce petit livre a tout pour te plaire
On ne pardonnera pour cette fois, puisque c'est un tout petit livre, mais comment résister ? surtout si tu évoques Proust contre la déchéance et les poétesses. Il y a eu des femmes d'un courage extraordinaire (et il doit y en avoir encore).
@ Aifelle : j'ai lu ce livre avec le même intérêt que Proust contre la déchéance, un livre qui signe la volonté de personnes de lutter contre les coups du sort, de se montrer plus forte que le destin ! quel exemple quel courage
le genre d'histoire que l'on a envie de raconter à tous
Bonjour Dominique, à propos de Tatiana Grigorievna Gnéditch, son aventure me dit quelque chose, j'en avais entendu parler. Car de mémoire, elle connaissait le Don Juan par coeur en anglais et elle l'a traduit sans avoir le texte original sous les yeux: chapeau! Et malheureusement, dans la cellule minuscule sans lumière où elle a croupi pendant 10 ans, elle a perdu la vue. Mais peut-être que je me trompe. Bonne après-midi.
@ dasola : non non tu ne te trompes pas c'est bien elle
Quels beaux exemples de courage ! De l'importance aussi d'avoir des passions vers lesquelles se retourner dans la tourmente. Un des otages français, récemment libéré et qui semblait être parmi ceux à en avoir le moins souffert expliquait que dans ses moments de découragement, il établissait la description botanique d'une plante que rien ne résistait à cela. Bon week-end, Dominique !
@ Annie : je me souviens aussi de Jean Paul kaufmann disant avoir lu relu et rerelu le seul livre qu'il avait à disposition
pour ne pas devenir fou !
Moi aussi j'ai une amie traductrice; il faut que je me procure ce livre pour elle. L'importance de la littérature pour survivre. Semprun aidant son ami et ancien professeur à mourir dans un camp de concentration en lui disant Baudelaire: Ô Mort, Vieux capitaine, il est temps ! Levons l'ancre!"
@ Claudialucia : parfois la littérature est la vraie bouée de sauvetage pour des hommes et des femmes victimes d'enfermement, de tortures
Bien noté.
Mais quand vais-je pouvoir le lire, alors là, ....
@ Bonheur du jour : oui mais il est vraiment vraiment tout petit !
C'est formidable de mettre à l'honneur de belles personnes, il y en a beaucoup et elles restent trop souvent dans l'ombre... Je note, doux week end Dominique. brigitte
@ Plumes d'Anges : cela est rendu possible par le courage d'amis, d'écrivains, de passeurs qui ont pris des risques pour maintenir vivante la création littéraire
Ce que vous dites au sujet de la présentation avec le (la) traducteur(rice) est essentiel. Ils ont un rôle sous-estimé par beaucoup. Je trouve que c'est un très beau métier et ils sont parfois contraint à faire des choix impossibles, des compromis qui peuvent conduire au constat de mauvaise traduction alors qu'il n'y a rien de mieux à faire. Sinon lire en VO !
@ christw : lisant beaucoup de littérature étrangère je remercie les traducteurs en pensée chaque fois, n'avoir accès aux textes que grâce à eux et grâce à leur savoir faire, à leur ténacité à leur qualité d'écriture, entrer de plein pieds dans une littérature aux sonorités différentes
Je l'ai noté tout de suite. J'ai très envie de le lire et ton billet y est pour beaucoup.
Le Don Juan de Byron, la volonté de sauvegarder l'écrit, la tourmente de l'histoire, les traducteurs-passeurs de mots... c'est tout ce que j'aime
Tu dis "récit" et non "roman historique" à cause de la concision du livre ou du style employé?
@ Sous les galets : ce n'est pas un roman, l'histoire est bien réelle et l'auteur du livre en fait simplement le récit, mais là la réalité dépasse la fiction
La traduction et ses difficultés m'intéressent, c'est pour moi! Puis ce contexte su particulier...j'ai lu/entendu beaucoup d'ex-prisonniers de tous genres dire que réciter seuls ou ensemble des poèmes les avaient "sauvés".
Merci dame découvreuse!
@ Colo : j'admire tes traductions de poésie et de prose aussi !
ça m'intéresse beaucoup ! je note !
Je note de suite ! Bon dimanche à toi :-)
quelle belle façon de défendre un livre que je vais immédiatement me procurer.
mais je voudrais lire avant "la fin de l'homme rouge"
je dois te le dire e ne sais plus comment gérer tous les livres que je note, il m'arrive parfois de penser avec nostalgie du monde avant les blogs où j'étais obligée de relire des livres que j'avais aimés , car je n'avais plus rien à lire. Depuis les blogs c'est toujours le trop plein
Luocine
@ luocine : oups je passe parfois à côté de commentaires et je rate l'occasion d'un échange
comme tu peux le voir je l'ai lu
merci de me l'avoir fait connaître
Luocine
@ luocine : c'est bon de faire lire un livre comme celui là car je sais par avance que tu feras pareil, il y a comme ça quelques livres dans ma bibliothèque que je garde précieusement pour un jour les faire lire à mes petits enfants car le temps passant ce sont des époques que l'on finit par oublier